Au fur et à mesure que le niveau de la mer baisse, la taille des îles augmente et certaines s'unissent (figure 1.1 (b)). Ainsi, l'espace disponible pour notre piéton s'agrandit, mais demeure limité jusqu'au moment où le niveau de l'océan atteint une valeur critique (figure 1.1 (c)). Apparaît alors un continent avec de nombreux lacs, mais qui permet au voyageur d'aller arbitrairement loin de son point de départ sans avoir à traverser un bras de mer.
Le début de la réaction entraîne la formation de chaînes dont les formes sont multiples et complexes, mais toujours courtes. S'identifiant à des îles dans un océan, on parle d'« amas finis ». Au fur et à mesure de la gélification, les liens chimiques entre molécules voisines s'activent pour produire des amas de plus en plus larges. Lorsque la fraction p d'acide ayant réagi dépasse un certain seuil pc, il apparaît une macromolécule géante (amas infini) dont la taille n'est restreinte que par la taille du récipient. En d'autres termes, le mélange de molécules qui au départ était liquide (solution) devient une gelée résistante à la traction (gel), au passage du seuil de percolation (De Gennes, 1976, p. 922). Dans des solides élastiques mous, ce filet polymérique s'étend dans toutes les directions et retient les substances en solution. Il ne représente que quelques pour cent du volume total, mais il joue un rôle essentiel d'armature en autorisant de grandes déformations (Guyon et Roux, 1987, p. 1050).
Le premier cas qui est aussi le plus répandu, étudie le mouvement aléatoire d'un fluide dans un milieu déterministe. Cette première situation correspond au modèle de diffusion. Le modèle de percolation, au contraire, se définit par le mouvement déterministe d'un fluide à travers un milieu dont la structure est aléatoire. Ainsi, l'aléa ne se trouve plus dans le mouvement du fluide mais dans le milieu sur lequel, ou à travers lequel, il évolue. Dans ce sens, le modèle de percolation se définit comme le problème dual du modèle de diffusion.
Sur les figures 1.3 (a), (b) et (c), l'espèce B en blanc représente respectivement 30 %, 50 % et 70 % de la population totale, le reste correspondant à l'espèce N en noir. On constate que la forme, la taille et le nombre de régions pour chacune des deux espèces, varient selon la proportion qu'elles représentent dans la population totale. L'étude de la distribution et des propriétés structurelles de ces régions peuplées d'individus N ou B appartient également à la théorie de la percolation.
Mis au point par les physiciens, le champ d'application de la percolation déborde largement le seul domaine de la physique. Ce modèle mathématique permet en effet la description de nombreux phénomènes physiques, biologiques ou sociologiques avec les mêmes outils géométriques et statistiques (Roussenq, 1992, p. 838). Cette polyvalence s'explique par l'originalité et la puissance du modèle de percolation. D'une part, le seuil de percolation est un archétype de transition de phase basé sur la richesse des interconnexions entre les éléments d'un système ; d'autre part, la théorie de la percolation offre un modèle intuitif et transparent pour rendre compte des désordres géométriques au sein de nombreux milieux hétérogènes (Zallen, 1983, p. 8). Dans un cadre plus formel, nous allons à présent détailler les modèles théoriques fondamentaux de la percolation.
Phénomènes ou systèmes Phases Flux de liquide dans un milieu poreux Humidité locale / étendue Propagation de maladies dans une population Endiguement / épidémie Communication ou réseau de résistances Déconnexion / connexion Matériau composite conducteur-isolant Isolant / conducteur Matériau composite conducteur-superconducteur Normal / superconducteur Formation stochastique d'étoiles dans des spirales galactiques Non-propagation / propagation Quark a dans les matières nucléaires Confinement / non-confinement Transformation magnétique b Paramagnétique / ferromagnétique Polymérisation d'un gel, vulcanisation Liquide / gel Transition de glaciation Liquide / glace Source : Zallen (1983), p. 7. (a) Les quarks sont des entités élémentaires qui seraient à l'origine des hadrons, c'est-à-dire le proton, le neutron, le pion et toutes les autres particules participant aux interactions fortes.
(b) À la température de Curie, les moments magnétiques parallèles à une même direction (ferromagnétisme) s'orientent de façon aléatoire dans la structure (paramagnétisme).