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© 2001 - Stéphane PAJOT   [ Percolation et économie ]

2.1  Dynamiques sur une structure donnée

Le problème de percolation peut intégrer la question de la dynamique sous différents aspects. L'analyse peut tout d'abord s'intéresser à l'évolution d'un phénomène sur un réseau statique. Les résultats diffèrent alors selon les caractéristiques des phénomènes étudiés. Elle peut également s'envisager en considérant que c'est le réseau lui-même qui évolue. Certains effets particuliers peuvent ainsi être mis en évidence.

L'étude de la conductivité (§ 2.1.1), de la diffusion sur un réseau hétérogène (§ 2.1.2) et de la propagation des feux de forêt (§ 2.1.3) appartiennent à la catégorie d'analyse des processus dynamiques sur une structure donnée. Le réseau aléatoire étant considéré statique, on parle alors de phénomène de transport.

2.1.1  Conduction d'un réseau

Après une définition du concept de conduction, la relation entre la conductivité et la probabilité pour un site d'appartenir à l'amas infini sera discutée. Les résultats numériques de quelques simulations seront enfin exposés.

Définition

Dans un réseau carré, on définit chaque site actif comme un élément conducteur et chaque site inactif comme un élément isolant1. À titre d'illustration, les sites actifs peuvent être assimilés à des grains de cuivre et les sites inactifs à des grains de matière isolante (Stauffer et Aharony, 1992, pp. 89-90). Dans un tel réseau, le courant électrique ne peut circuler que sur les grains de cuivre. La propagation du courant se fait uniquement entre des sites plus proches voisins, c'est-à-dire des sites ayant un côté en commun.

Un courant électrique de voltage unitaire est appliqué au réseau aléatoire de résistances, par le biais de deux électrodes placées de part et d'autre du système. La quantité de courant qui parvient à traverser ce labyrinthe de résistances correspond à la conductance de l'échantillon.

Le réseau de résistances est défini selon une forme rectangulaire de taille N × L sites, avec N le nombre de colonnes et L le nombre de lignes (figure 2.1).


Figure 2.1: Conduction sur un réseau aléatoire de résistances

Source : adapté de Stauffer et Aharony (1992), p. 90

Pour éliminer les effets de taille finie, les valeurs respectives de N et L sont supposées relativement importantes. Une électrode de taille N est placée sur la première et la dernière ligne du réseau. Un courant uniforme est ensuite appliqué au système à partir de ces électrodes.

Si le réseau était uniforme et homogène, comme par exemple dans le cas d'une feuille de cuivre, la conductance serait proportionnelle à N et inversement proportionnelle à L (Stauffer et Aharony, 1992, p. 90). De façon plus générale, la conductance d'un système en dimension d est inversement proportionnelle à L et proportionnelle à la coupe transversale Nd – 1 de l'échantillon. En d dimensions, la conductance est alors, proportionnelle à Nd – 1 / L, et égale à S (Nd – 1 / L). Le facteur de proportionnalité S, appelé conductivité du matériau, est par conséquent indépendant de la taille et de la forme du réseau. Dans le cas d'un réseau de forme carrée ou cubique, les côtés étant de même taille L, la conductivité du système est égale au rapport de la quantité de courant produit avec une tension de un volt, sur Ld – 2.

Conductivité et probabilité d'appartenance à l'amas infini

Suivant la théorie de la percolation, la probabilité d'apparition d'un amas percolant est nulle lorsque la proportion de sites conducteurs (p) est inférieure au seuil critique (pc). Or, le courant ne peut pas traverser le réseau s'il n'existe pas d'amas infini. Par conséquent, la conductivité du réseau est nulle pour p < pc. Au contraire, lorsque la proportion de sites conducteurs est plus grande que pc, les grains de cuivre forment un amas percolant à travers le réseau de résistances. La conductivité ( S ) et la probabilité pour un site d'appartenir à l'amas infini (P¥) augmentent alors de façon quasi-linéaire avec la concentration p. Lorsque tous les sites sont conducteurs (p = 1), la probabilité d'appartenance à l'amas percolant est certaine pour chaque site : P¥ (p) = 1. La conductivité du réseau atteint, en conséquence, celle d'une feuille de cuivre. Tous les sites étant conducteurs, le réseau transporte alors une unité de courant lorsqu'une tension de un volt est appliquée entre les deux électrodes. Dans ces conditions, la conductivité d'une feuille de cuivre est posée égale à l'unité : S (p = 1) = P¥ (p = 1) = 1 .

Ainsi, une relation semble exister entre la conductivité S (p) et la masse de l'amas percolant, c'est-à-dire la probabilité pour un site d'appartenir à l'amas infini P¥ (p). Malheureusement, les vérifications empiriques ne confirment pas cette hypothèse (Last et Thouless, 1971, repris dans : Stauffer et Aharony, 1992, p. 90). L'évolution schématique de la conductivité d'une feuille de graphite perforée, en fonction de la proportion d'emplacements non-perforés, est représentée par le trait plein sur la figure 2.2.


Figure 2.2: Conductivité et probabilité d'appartenance à l'amas infini

Source : Last et Thouless (1971), repris dans : Stauffer et Aharony (1992), p. 91

La courbe en pointillé représente l'évolution schématique de la probabilité pour un site, d'appartenir à l'amas percolant selon le même protocole. Les deux courbes semblent avoir la même limite au seuil de percolation. Cependant, alors que la pente de la conductivité est nulle au point critique, la pente de la probabilité d'appartenance à l'amas percolant y est infinie. Cette divergence s'explique par les diverses sortes de liens qui composent le réseau2. La figure 2.3 représente un amas percolant au seuil, dans un réseau carré de liens.


Figure 2.3: Décomposition de l'amas percolant

Source : adapté de Stauffer et Aharony (1992), p. 91

Chaque lien représente une résistance. En appliquant une tension entre le haut et le bas de l'échantillon, plusieurs types de liens se distinguent. Une grande partie des liens ne charrie aucun courant, car ils n'aboutissent nulle part (De Gennes, 1976, p. 922). Ces chemins sans-issues sont les « bras morts » du réseau électrique. Une fois débarrassé de ces bras morts, il ne reste que les liens participant à la conduction du courant. Cette structure correspond à l'« épine dorsale » de l'amas percolant. Elle se compose de liens sensibles et de boucles, respectivement représentés en gras et en pointillé sur la figure 2.3. La suppression d'un lien situé sur une boucle de l'épine dorsale fait diminuer la quantité de courant traversant le réseau. La suppression d'un lien sensible, par contre, annule totalement le passage du courant dans le réseau, car dès lors il n'existe plus d'amas percolant conducteur.

Ainsi, une grande partie de l'amas percolant est formée par des bras morts ne participant pas directement à la conduction de l'échantillon. Dans un amas infini, la plupart des éléments n'appartiennent pas à l'épine dorsale. Par conséquent, une faible part de la masse d'éléments pris en compte dans P¥ intervient dans la conductivité. L'exposant critique associé à S est alors différent de b lié à la probabilité pour un site d'appartenir à l'amas infini3. L'exposant critique de la conductivité est noté µ, tel que (Stauffer et Aharony, 1992, p. 91) :
S µ (ppc)µ   pour   p ® pc
    (1)
En l'absence de résultats précis, il ne semble pas exister de relations entre µ et les autres exposants (Stauffer et Aharony, 1992, p. 92). De là, µ est considéré comme un nouvel exposant de base indépendant.

Selon l'hypothèse d'échelle de taille finie (finite size scaling hypothesis)4, la dépendance de la conductivité à la taille de l'échantillon est supposée évoluer selon (Stauffer et Aharony, 1992, p. 92) :
S (L,x) = x– µ / n S(L/x) µ ì
í
î
x– µ / n L » x
L– µ / n L » x
    (2)
Autrement dit, pour des tailles d'échantillon suffisamment importantes (plus grandes que la longueur de corrélation), la conductivité est indépendante de la taille du réseau et peut être décrite par (1). Pour des tailles de réseau plus faibles, ou au seuil de percolation, la dépendance est supposée se comporter selon :
S µ L– µ / n     (3)
Pour vérifier ces relations, les résultats de quelques simulations numériques sont reprises dans le point suivant.

Simulations numériques

Les simulations sont faites selon la méthode de Monte-Carlo. Dans un premier temps, des réseaux formés d'un mélange aléatoire de sites (ou de liens) conducteurs ou isolants sont simulés de façon numérique. Dans un deuxième temps, la conductance est mesurée sur chaque échantillon obtenu. À la différence d'une expérimentation analogique, il est impossible de réaliser une mesure concrète sur un réseau numérique. La conductance est alors estimée grâce aux lois de Kirchhoff5. Ces lois précisent que pour chaque boucle du réseau, la somme des tensions est nulle, et que pour chaque site, la somme de courant qui les traverse est nulle elle aussi. Pour chaque site, ceci se traduit par (Stauffer et Aharony, 1992, p. 93) :
Ii =
 
å
j
(VjVi) sij     (4)
avec Vi la tension au site i, Ii l'intensité du courant extérieur qui passe dans le site i et sij la conductance du lien joignant les site plus proches voisins i et j6.

Pour un réseau aléatoire de résistance construit par un mélange d'éléments conducteurs et isolants, la conductance sij est unitaire si le lien est conducteur et nulle autrement. Le système obtenu peut alors se résoudre par des méthodes de relaxation (Kirkpatrick, 1973). Pour une précision donnée, le nombre d'itérations nécessaires à la résolution est d'autant plus important que le système est proche du seuil de percolation.

La figure 2.4 montre les résultats des simulations numériques au seuil de percolation.


Figure 2.4: Variation de la conductivité en fonction de la taille du système

Source : Stauffer et Aharony (1992), p. 92

La conductivité S des échantillons en dimension deux et trois, est représentée en fonction de leur taille L. Dans le premier cas (d = 2), deux formes géométriques différentes ont été analysées. Ces résultats confirment (3), c'est-à-dire la dépendance de S et L sous la forme d'une fonction puissance. Pour d = 2, l'exposant µ / n de cette relation de dépendance est estimé aux alentours de 0,975 et est de l'ordre de 2,3 pour d = 3.





Les notions liées à la conduction ont l'intérêt de mettre l'accent sur une partie essentielle de l'amas percolant, à savoir l'épine dorsale. Si de nombreux sites ou liens appartiennent à l'amas infini, tous n'ont pas la même valeur face à la propagation sur le réseau. Dans l'étude des phénomènes de transports, un autre objet intéressant, lié à la conduction, concerne la diffusion.

2.1.2  Diffusion

Pour étudier la conduction dans un réseau aléatoire produit par un modèle de percolation, P.-G. DE GENNES a élaboré une méthode originale connue sous le nom de « fourmi dans un labyrinthe ». Basée sur une relation d'Einstein entre la conductivité et la diffusion dans un réseau identique, cette méthode propose d'analyser la diffusivité à travers une marche aléatoire sur la structure à étudier.

Ce paragraphe débute par la présentation du problème de la fourmi dans un labyrinthe. Les concepts de diffusion stochastique et de marche aléatoire sont ensuite abordés. Enfin, la question de la diffusion « anormale » dans un réseau de percolation est exposée dans le dernier point.

Une fourmi dans un labyrinthe

Le modèle de « fourmi dans un labyrinthe » s'intéresse au mouvement aléatoire d'un mobile dans une structure donnée, en l'occurrence celui d'une fourmi dans un labyrinthe (De Gennes, 1976, pp. 925-926). Le labyrinthe en question est obtenu par un modèle de percolation dont les sites sont ouverts (actifs) ou fermés (inactifs)7. La fourmi ne pouvant évoluer que sur des sites ouverts et contigus, les amas formés par les sites actifs s'interprètent alors comme des chemins possibles pour la fourmi. La structure devient ainsi, un labyrinthe dont la complexité dépend de la proportion p de sites ouverts.

L'étude de la progression stochastique d'un mobile (la fourmi) dans un système désordonné (le labyrinthe) s'effectue par la méthode de Monte-Carlo. La fourmi est tout d'abord parachutée n'importe où dans le labyrinthe, sur un des sites actifs qui est alors appelé origine locale (Mitescu et Roussenq, 1983, p. 84). Elle se déplace ensuite au hasard, vers un des sites ouverts faisant partie de son entourage (plus proches voisins). Ce déplacement aléatoire est réitéré un grand nombre de fois, ce qui permet de savoir si la fourmi parvient à sortir ou non du labyrinthe. Par suite, cette opération est renouvelée sur le même labyrinthe, en parachutant successivement la fourmi sur une multitude de sites actifs différents. Enfin, cette même démarche est reproduite dans des labyrinthes différents mais de paramètre p identique. Tout ceci permet en conséquence, de caractériser la progression de la fourmi dans un labyrinthe formé d'une proportion p d'éléments ouverts.

Le carré du déplacement de la fourmi R2 (t), par rapport à son origine locale, est enregistré à chaque temps t8. Lorsque la moyenne des différentes valeurs de R2 (t) est réalisée pour un grand nombre d'origines locales différentes et pour de nombreuses réalisations de structures de percolation différentes d'un p donné, on obtient le carré moyen du déplacement á R2 (t) ñ également appelé déplacement quadratique moyen. Cet indicateur permet alors de caractériser la progression aléatoire d'un mobile sur une structure désordonnée.

L'évolution schématique de á R2 (t) ñ est illustrée sur la figure 2.5.


Figure 2.5: Évolution schématique du déplacement carré moyen

Source : De Gennes (1976), p. 926

Lorsque la proportion de sites ouverts dans le labyrinthe est inférieure au seuil de percolation (p < pc), il n'existe que des « îles ». La fourmi n'évolue au maximum que d'une longueur finie, la longueur de corrélation x, qui correspond à la taille des amas (De Gennes, 1976, p. 925). Le carré moyen du déplacement de la fourmi ne progresse pas au-delà de x2, au bout d'un certain temps caractéristique q (p). En d'autres termes, son déplacement Ö á R2 (t) ñ aux temps élevés, reste comparable à la taille de l'île sur laquelle est emprisonnée la fourmi (De Gennes, 1993, p. 747). À l'approche du seuil, la taille des amas augmente, d'où une divergence du temps q (p) nécessaire pour atteindre la limite x. Au-dessus du seuil (p > pc), la fourmi peut s'éloigner indéfiniment de son origine, car le système est percolant. Ainsi, á R2 (t) ñ croît linéairement avec le temps pour les valeurs élevées de t. Autrement dit, la fourmi peut progresser indéfiniment lorsqu'elle est parachutée sur le « continent ».

De nombreuses simulations numériques ont été faites pour tester empiriquement les prévisions de la figure 2.5. La figure 2.6 montre la différence de comportement asymptotique pour des valeurs de p inférieures (figure (a)) ou supérieures (figure (b)) au seuil.


Figure 2.6: Résultats numériques du déplacement carré moyen d'une fourmi

(a) p < pc (b) p > pc
  
Source : Mitescu et Roussenq (1983), p. 85

Lorsque la proportion de sites ouverts est inférieure au seuil, le déplacement carré moyen finit par se stabiliser dans le temps, alors qu'il croît linéairement lorsqu'elle est supérieure. La dépendance vis-à-vis de p, du temps caractéristique nécessaire à l'apparition du régime asymptotique est également mise en évidence. Plus la proportion de sites actifs est proche du seuil, plus la longueur de corrélation x est forte et par conséquent, plus le temps nécessaire à l'apparition du comportement limite est important. Sur la figure (a), la limite de á R2 (t) ñ est atteinte plus rapidement lorsque l'écart par rapport au seuil est de 0,11 au lieu de 0,06. Sur la figure (b), où p est supérieur au seuil, on note que le rapport á R2 (t) ñ / t augmente lorsque l'on s'éloigne de pc. Ainsi, la pente des résultats obtenus pour une valeur de (ppc) de 0,09 est plus importante que pour 0,06 car la diffusion y est relativement plus facile.





D'autres variantes de ce modèle de fourmi dans un labyrinthe sont venues enrichir l'analyse de la propagation sur une structure hétérogène. Plutôt que de se déplacer de façon aléatoire vers un des sites ouverts de son voisinage, la fourmi peut choisir une direction au hasard et essayer de s'y rendre sans savoir si le site de destination est ouvert ou fermé9. En définitive, selon l'état du site vers lequel elle souhaite aller, la fourmi se déplacera ou bien restera sur place pendant la période. Dans ce modèle, la fourmi est qualifiée d'« aveugle » en comparaison au modèle précédent dit de fourmi « myope » (Mitescu et Roussenq, 1983, pp. 85-86). Une autre variante suppose que la fourmi cherche à aller dans une direction donnée parce qu'elle est, par exemple, attirée par une odeur (De Gennes, 1993, p. 747). Dans le langage de la physique, ce phénomène correspond à un champ constant. Ce champ peut être d'intensité plus ou moins forte, ce qui influence le déplacement de la fourmi. Si l'intensité du champ est très importante, elle risque de se bloquer dans une voie sans issue ou dans un virage en épingle, sans pouvoir faire demi-tour. Il est également possible de doter la fourmi d'une intelligence mnémonique, en lui permettant de laisser une trace de son passage. Parmi les autres variantes, on notera le modèle des « termites » dans lequel l'animal à le choix entre se déplacer rapidement sur un amas ou lentement progresser à travers des sites fermés.

Diffusion stochastique et marches aléatoires

Lorsque le déplacement aléatoire d'une particule est statistiquement homogène, isotrope, stationnaire et sans mémoire, il est qualifié de mouvement brownien10 (Lesne, 1996, p. 240). Cette appellation provient du nom du biologiste écossais R. BROWN, qui a analysé le mouvement erratique d'un grain de pollen, dans l'eau contenue à l'intérieur d'une roche volcanique11. Les propriétés statistiques du mouvement brownien se retrouvent dans le cadre de modèles continus ou discrets.

La diffusion d'une particule se modélise généralement par une marche aléatoire (random walk) simple qui est un modèle discret de mouvement brownien. L'algorithme de cette marche aléatoire se décompose en déplacements élémentaires par pas de longueur a d'une durée t, vers un site choisi de façon aléatoire parmi les proches voisins dans un réseau en dimension d (Havlin et Bunde, 1991, p. 100). La durée du déplacement global t se définit comme le produit du nombre j de pas, par la durée t de ce mouvement élémentaire : t = j t. Si l'on suppose que la durée d'un pas est t = 1, le nombre j de pas nécessaires au mouvement est identique à la durée totale t de sa réalisation. Ainsi, après j pas consécutifs (c'est-à-dire à la date t), la position de la particule est décrite par le vecteur R(t) (figure 2.7).


Figure 2.7: Marche aléatoire dans un réseau carré

Source : Havlin et Bunde (1991), p. 100

Ce vecteur se compose de la somme des vecteurs unitaires ei orientés dans la direction du mouvement à la i-ième étape. Formellement ceci se traduit par (Havlin et Bunde, 1991, p. 101) :
R(t) = a
t
å
i = 1
ei     (5)
La distance moyenne parcourue à la date t est décrite par la racine carrée du déplacement carré moyen Ö á R2 (t) ñ, où la moyenne est réalisée pour l'ensemble des configurations possibles de marche aléatoire sur le réseau. À partir de (5), la distance carrée moyenne du déplacement peut s'écrire :
á R2 (t) ñ = a2
t
å
i, i'
á ei · ei' ñ = a2 t
 
å
i ¹ i'
á ei · ei' ñ     (6)
Dans une marche aléatoire simple, les mouvements entre différentes étapes i et i' ne sont pas corrélés. Sachant que á ei · ei' ñ = di i', le déplacement carré moyen à la période t suit alors une loi de diffusion de Fick :
á R2 (t) ñ = a2 t     (7)
De façon plus générale, pour une durée élémentaire t donnée et un nombre de pas j, le déplacement quadratique moyen est défini par (Lesne, 1996, p. 242) :
á R2 (t) ñ = a2 j = D j t     (8)
D = a2/ t est le coefficient de diffusion sur le réseau. À partir de (8), on retrouve la relation (7) dans le cas où t = 1.

Dans ce modèle, l'indépendance temporelle des pas successifs induit alors la loi d'échelle suivante, valide quelle que soit la durée t (Lesne, 1996, p. 243) :
á R2 (t) ñ = D t,      " t ³ 0     (9)
Le coefficient de diffusion est une caractéristique non universelle du mouvement qui dépend par exemple, de la masse de la particule ou de la nature de la structure.

Le déplacement quadratique moyen d'une particule correspond à la moyenne, sur toutes les réalisations, de son mouvement entre les instants 0 et t, à partir d'un point d'origine a priori variable. La valeur de á R2 (t) ñ s'obtient à travers l'analyse statistique d'un grand nombre de trajectoires indépendantes. La dépendance temporelle asymptotique du déplacement carré moyen est appelée loi de diffusion. Le point de référence utilisé pour les lois de diffusion est le mouvement brownien (Lesne, 1996, p. 245)12 : Dans la situation anormale, la loi de diffusion reste le plus souvent de la forme á R2 (t) ñ ~ tg, la valeur de g étant comprise entre 0 et 213. Les études expérimentales ont montré que les écarts par rapport à la loi normale (g ¹ 1) s'expliquent généralement par une hétérogénéité du milieu, par un biais dans la marche de la particule ou par des propriétés mnémoniques de la particule ou du milieu. Les études théoriques démontrent que la valeur de g dépend des corrélations temporelles des divers points de la trajectoire. L'absence ou la faiblesse de ces corrélations définissent la classe g = 1 des mouvements diffusifs dont fait partie le mouvement brownien. La présence de fortes corrélations positives donne la classe g > 1 des mouvements persistants ou supradiffusifs, où les déplacements ont tendance à être alignés dans la même direction. Enfin, dans le cas g < 1 où les corrélations sont fortement négatives, le mouvement est dit antipersistant ou subdiffusif, car les déplacements se réalisent de façon opposée au pas précédent.

Diffusion anormale

Sur une structure fractale comprenant des trous, des goulets et des bras morts, la progression d'un marcheur aléatoire est plus complexe et par conséquent ralentie. Lorsque ces obstacles sont présents à toutes les échelles, cette altération se retrouve aussi à toutes les échelles. Dans ce cas, la loi de diffusion de Fick (7) n'est plus valide. Le déplacement quadratique moyen suit alors une fonction puissance plus générale (Havlin et Bunde, 1991, p. 103) :
á R2 (t) ñ ~ t2/Dw     (10)
où la valeur de Dw, qui correspond à la dimension fractale de la marche aléatoire et qui s'interprète comme l'exposant de la diffusion, est toujours supérieure à deux14.

En percolation, pour des valeurs de p supérieures au seuil, la structure n'apparaît fractale que pour des échelles inférieures à la longueur de corrélation15. La valeur de x étant la seule échelle pertinente, il est alors vraisemblable que les propriétés de transport sur l'amas infini ou le système global sont elles aussi décrites par des lois d'échelles.

Le déplacement quadratique moyen d'une particule lors d'une marche aléatoire sur l'amas infini se caractérise, dans le long terme, par la constante de diffusion D. Cette constante D est liée à la constante de diffusion D' du système global. Au dessus du seuil, (1) précise l'évolution de la conductivité du système : S µ (ppc)µ. Une équation d'A. EINSTEIN fournit une équivalence entre la conductivité et la diffusion16. Ainsi, le coefficient D' a le même comportement que S. La mesure du déplacement carré moyen, et par suite D', est obtenue en calculant la moyenne sur l'ensemble des points origines possibles du système. Lorsqu'une particule a pour origine un site faisant partie d'un amas fini, elle ne peut s'en échapper. Par conséquent, le coefficient de diffusion du système dépend de la probabilité pour un site d'appartenir à l'amas infini, suivant la relation : D' = D P¥. Cette correspondance amène alors à l'équation (Havlin et Bunde, 1991, p. 107) :
D ~ (ppc)µ – b     (11)
En combinant (10) et (11), le déplacement quadratique moyen d'une particule, se déplaçant sur l'amas infini lors d'une marche aléatoire, évolue selon (Havlin et Bunde, 1991, p. 108) :
á R2 (t) ñ ~ ì
í
î
t2/Dw   si   t « tx
(ppc)µ – b t   si   t » tx
    (12)
tx ~ xDw, correspond à l'échelle de temps que la particule met en moyenne à parcourir le régime fractal dans l'amas. De là, par un raisonnement sur les échelles temporelles et le concept de temps caractéristique, une relation entre Dw et µ peut être mise en évidence17 :
Dw = 2 +
µ – b
n
    (13)

Concernant la diffusion sur le système global, il est nécessaire de prendre en compte la présence d'amas de taille finie. Comme précédemment, le déplacement quadratique moyen se détermine par la moyenne des marches aléatoires au départ de tous les points origines, ces derniers étant répartis de façon uniforme parmi les sites actifs. En conséquence, une première moyenne est tout d'abord calculée pour les déplacements dont l'origine appartient aux amas d'une taille s donnée. Le résultat fournit alors le déplacement carré moyen á Rs2 (t) ñ d'une particule sur un amas de s sites. La moyenne de á Rs2 (t) ñ est par suite, calculée sur les diverses tailles d'amas.

Le rayon moyen rs des amas de taille s est défini par s ~ rsDf, où Df est la dimension fractale de l'amas infini18. Tant que la distance sillonnée par la particule est inférieure à ce rayon moyen, la diffusion est anormale : á Rs2 (t) ñ ~ t2/Dw. Lorsque la durée du mouvement aléatoire augmente, la limitation liée à la finitude de l'amas devient sensible. Le déplacement á Rs2 (t) ñ est alors borné par rs2. En conséquence, l'évolution du déplacement quadratique moyen sur un amas de taille s se traduit par (Havlin et Bunde, 1991, p. 108) :
á Rs2 (t) ñ ~ ì
í
î
t2/Dw   si   t2/Dw < rs2
rs2   si   t2/Dw > rs2
    (14)
De là, on détermine le déplacement carré moyen sur l'ensemble du système en calculant la moyenne de á Rs2 (t) ñ pour les diverses tailles d'amas :
á R2 (t) ñ ~
¥
å
s = 1
s ns (pc) á Rs2 (t) ñ     (15)
Au voisinage du seuil, le nombre ns d'amas de taille s normalisé par site vérifie la relation ns (p) ~ st (Lesne, 1996, p. 324). Intégrant cette relation, (15) se transforme en (Havlin et Bunde, 1991, p. 108) :
á R2 (t) ñ ~
¥
å
s = 1
s1 – t á Rs2 (t) ñ     (16)
De (14), il apparaît que pour chaque temps t, il existe une taille particulière S× (t) en dessous de laquelle la diffusion est anormale et au-dessus de laquelle la diffusion est bornée. Intégrant ceci, (16) peut alors s'écrire (Havlin et Bunde, 1991, p. 109) :
á R2 (t) ñ ~
S× (t)
å
s = 1
s1 – t s2/Df +
¥
å
s = S× (t)
s1 – t t2/Dw     (17)
Le premier élément du membre droit de (17) est proportionnel à [S× (t)]2 – t + 2/Df et le second à [S× (t)]2 – t t2/Dw. Sachant que S× (t) ~ tDf / Dw, la relation devient :
á R2 (t) ñ ~ t2 / D'w     (18)
avec D'w = 2/[(Df / Dw) (2 – t + 2/Df)] l'exposant de diffusion. Par l'intermédiaire des lois d'échelle et d'hyper-échelle vues dans le premier chapitre, l'équation peut enfin s'écrire sous la forme19 :
D'w =
Dw
1 – b / 2n
    (19)
Les propriétés de transport sur l'amas infini et le système global apparaissent ainsi décrites par des lois d'échelles.





L'étude de la diffusion sur un système de percolation a des implications importantes. Elle permet d'expliquer et de prévoir de façon générale, certains phénomènes de propagation. Les connaissances accumulées par la percolation sur le comportement des structures hétérogènes et désordonnées, enrichissent les possibilités d'étude au-delà du modèle standard de diffusion. Ainsi, elles conjecturent le comportement asymptotique du déplacement quadratique moyen sur le système, au dessous et au-dessus du seuil de percolation. Dans le cas supérieur au seuil, elle distingue enfin la classe des lois de diffusion normale et anormale. Dans ce contexte, les modèles de percolation et de diffusion, plutôt que de se contredire, se complètent dans l'analyse.

2.1.3  Propagation des feux de forêt

Les feux de forêt sont fréquemment employés pour illustrer le phénomène de percolation. En ce sens, un feu qui parvient à traverser de part en part une forêt est qualifié de percolant. Outre les informations pour la lutte contre les incendies, l'analyse de ce modèle permet de caractériser par rapport au temps, les propriétés de transport sur une structure hétérogène et aléatoire. Après avoir présenté le modèle basique de feux de forêt, nous évoquerons les résultats de quelques simulations avant de terminer en abordant certaines extensions du modèle.

Le modèle basique de feux de forêt

La principale question posée dans le modèle de feux de forêt concerne la durée de l'incendie. Sur une structure carrée, la proportion p de sites présents correspond aux arbres et les (1 – p) restants représentent des espaces vides. Les amas de sites actifs et inactifs correspondent ainsi, respectivement, à des bosquets et des clairières. Cette forêt dont la structure est hétérogène et aléatoire sert alors de support à l'incendie.

Le feu est mis à l'ensemble des arbres du bord gauche de la forêt. À la période suivante, les arbres voisins de l'incendie s'embrasent alors que les précédents se sont éteint naturellement. Cette procédure est réitérée tant qu'il existe au moins un arbre enflammé. Lorsque le feu est éteint, on peut alors caractériser la façon dont l'incendie a évolué sur la structure forestière.

L'analyse traditionnelle du réseau de percolation permet de préciser jusqu'où le feu pénètre dans la forêt20. Au-dessous du seuil de percolation, les amas de sites présents sont de taille finie. En d'autres termes, la forêt n'est formée que par des bosquets de taille finie. Par hypothèse, le feu ne pouvant se transmettre qu'entre les arbres d'un même bosquet, l'incendie s'éteint de lui-même et ne traverse pas la forêt. Au-dessus du seuil de percolation, la présence d'un bosquet percolant permet à l'incendie de pénétrer la forêt et de n'être limité dans sa progression que par la taille de la forêt elle-même. Dans l'hypothèse d'une forêt de taille infinie, une infinité d'arbres auraient alors la possibilité de brûler. Le réseau étant de taille finie dans le cadre d'une simulation numérique, l'incendie s'arrête pour p > pc, lorsque tous les arbres appartenant à un bosquet, dont au moins un élément appartient au bord gauche, ont brûlé.

Au-delà du simple fait de savoir si le feu percole ou non, selon que la proportion d'arbre est supérieure au seuil ou pas, cette modélisation vise une problématique nouvelle à travers la notion de durée. Ainsi, en plus de l'information sur la présence d'un amas percolant, ce modèle insiste sur le temps nécessaire pour atteindre le bord droit (lorsque c'est possible) et sur la durée de l'incendie lui-même. Ces deux valeurs peuvent différer l'une de l'autre selon la structure de la forêt.

Dans le cadre d'un verger, où les arbres sont présents sur tout le réseau (p = 1), la durée du feu et celle de l'incendie sont identiques, car à chaque période le feu progresse de façon homogène « colonne après colonne » (figure 2.8).


Figure 2.8: Feu dans un verger [p = 1] à diverses périodes (ex ante)

(a) t = 1   (b) t = 3   (c) t = 5
   

À la période t = 1, tous les arbres de la première colonne sont en feu (ex ante) puis s'éteignent (ex post). À la période t = 2, ce sont l'ensemble des arbres de la deuxième colonne qui s'enflamment puis s'éteignent. De la même façon, à la période t = x les arbres de la colonne x s'embrasent puis s'éteignent. Par conséquent, si le réseau est de taille L (colonnes), c'est-à-dire si le verger est formé par L rangées d'arbres, il faut L périodes pour atteindre le bord droit. Sachant de plus qu'à la période t = L + 1 il ne reste plus aucun arbre en feu, la durée de l'incendie est alors elle aussi de L périodes21

Si l'on reprend la même dynamique dans une structure forestière plus naturelle où se mélangent de façon aléatoire bosquets et clairières, la durée de l'incendie et celle nécessaire pour atteindre le bord droit (lorsque c'est possible) sont plus difficiles à déterminer. Sur la figure 2.9, les arbres représentent 60 % de la forêt (p = 0,6).


Figure 2.9: Feu dans une forêt [p = 0,6] à diverses périodes (ex ante)

(a) t = 1   (b) t = 6   (c) t = 8
   

L'incendie débute sur les trois arbres de la première rangée puis se propage à travers la forêt. Sur le bosquet situé au milieu de la première colonne, le feu s'éteint dès la fin de la première période, car aucun arbre ne peut continuer le relais. Sur le bosquet en haut à gauche, c'est à la fin de la deuxième période que l'extinction se produit. Le troisième bosquet, situé en bas, percole sur la structure. L'incendie peut alors continuer son évolution. À la sixième période, le feu touche le bord droit de la forêt, mais l'incendie n'est pas terminé. Il faut attendre la période t = 8, pour que le dernier arbre en feu s'éteigne.

Ces deux temps, « durée de traversée » et « durée de l'incendie », sont deux indicateurs de la complexité du chemin emprunté par le feu et par conséquent de la structure. La progression du feu s'effectuant par pas de taille unitaire à chaque période, le temps mis pour atteindre le bord opposé correspond à la distance chimique l qui sépare les deux côtés de la forêt. La durée de l'incendie se rapporte elle aussi à une distance chimique, mais elle informe sur la distance la plus importante entre un site du bord gauche et un site au sein de la structure percolante. Ces indices sont à mettre en rapport avec la fractalité de la structure22.

Exemple de simulation numérique

La figure 2.10 montre le résultat d'une simulation numérique effectuée sur une structure de taille L = 50, dont l'hétérogénéité correspondait à p = 0,6.


Figure 2.10: Simulation d'un feu sur une structure désordonnée (p = 0,6)

(a) t = 0 (b) t = 65 (c) t = 111
     
(50 × 50 sites)

La forêt de départ est représentée sur la figure (a). Les cases noires correspondent aux arbres et les blanches sont des espaces vides. Le feu est mis aux 30 arbres du côté gauche. Dans le cadre de cette structure, le feu atteint le bord droit du réseau à la période t = 65 (figure (b)), alors que l'incendie s'arrête à la période t = 111 (figure (c)). Cette différence de temps illustre la complexité de la structure sur laquelle évolue le feu. L'incendie retourne vers les rangées d'arbres à gauche une fois qu'il a atteint la droite du réseau. Dans la situation de la figure 2.10, ce phénomène est particulièrement visible sur le haut du réseau, car le dernier arbre à s'être enflammé se situe à la dix-huitième colonne.

L'irrégularité de la structure se retrouve aussi lorsque l'on étudie l'évolution du nombre d'arbres en feu à chaque période de la simulation (figure 2.11).


Figure 2.11: Évolution du nombre d'arbres en feu au cours de la simulation


Lors de la progression de l'incendie, le feu se trouve parfois sur des arbres relativement plus isolés. Le nombre d'arbres vers lequel la flamme est transmise diminue en conséquence à la période suivante. Après un cheminement ralenti approximativement de la quarantième à la soixantième période, une accélération sensible apparaît pendant une dizaine de périodes. Ceci s'explique par un passage plus difficile, sorte de couloir où le feu progresse doucement, puis l'accession à une surface plus homogène qui facilite la transmission du feu.

L'évolution du nombre total d'arbres ayant brûlés depuis le début montre un fléchissement aux alentours de la quatre-vingtième période (figure 2.12).


Figure 2.12: Évolution du nombre d'arbres vivaces et brûlés au cours de la simulation


Ce ralentissement s'explique par la présence des arbres vivaces (arbres n'ayant pas brûlés) n'appartenant pas à des amas qui touchent le bord gauche du réseau. Ces arbres sont situés sur des amas de taille finie dont aucun arbre n'a été initialement enflammé. De ce fait, ces arbres sont protégés de l'incendie et cette limite est quasiment atteinte à la période t = 80. Ainsi, les arbres qui potentiellement pouvaient s'enflammer ont, en grande majorité, déjà été brûlés.

Une dernière façon d'observer la difficulté du feu à avancer vers la droite est mise en évidence sur la figure 2.13, où la position du front est reprise tout au long de l'incendie.


Figure 2.13: Évolution du front de l'incendie au cours de la simulation


Le front se définit ici, comme la distance maximale de pénétration de l'incendie par rapport au bord gauche. Cette valeur correspond au numéro de la rangée d'arbre la plus éloignée atteinte par le feu. Elle se distingue ainsi de la distance chimique qui comptabilise le nombre de pas minimum entre deux points et qui est supérieure ou égale à celle du front. À de nombreuses reprises au cours de la simulation, le front ne progresse pas vers la droite. Ce phénomène est visible, car l'évolution de la distance parcourue par le front montre une évolution horizontale sur la figure 2.13. Durant ces phases, le feu se dirige soit vers la gauche ou reste sur la même rangée qu'à la période précédente. Par conséquent, la distance atteinte (la plus grande) ne change pas et la variation du front est nulle. Au bout d'un certain nombre de périodes plus ou moins grand, le feu reprend ensuite sa progression vers la droite et la courbe d'évolution retrouve alors une pente non nulle. À la période t = 65 le feu percole car la cinquantième rangée d'arbres est atteinte. Le front est alors à son maximum : il a traversé la forêt. Au-delà de la soixante cinquième période, la durée pendant laquelle l'incendie est actif correspond au temps nécessaire pour que les bosquets en feux s'éteignent de façon autonome.

Si l'on fait varier p, c'est-à-dire la structure forestière, la taille des bosquets suit l'évolution traditionnelle de la percolation par rapport au seuil. En conséquence, le feu ne trouve pas de chemin continu pour traverser la forêt lorsque p < pc. Au contraire, lorsque le seuil est dépassé, un bosquet percolant permet au feu de s'infiltrer d'un bord à l'autre du réseau. Sur la figure 2.14, cette évolution se retrouve dans l'absence de données concernant la durée nécessaire pour atteindre le bord droit, lorsque les valeurs de p sont inférieures à 0,59.


Figure 2.14: Durée de l'incendie et délai avant percolation


Au-dessus du seuil, la complexité du chemin le plus court pour percoler à travers la forêt diminue. Le délai entre le début de l'incendie et l'arrivée à droite atteint son minimum, lorsque la distance chimique entre les deux bords a une valeur identique à la taille du réseau (L = 50). Le feu avance alors sur une même ligne d'arbres tout au long de sa progression vers la droite. Pour des valeurs de p proches de l'unité (cas du verger), le délai avant percolation tend vers la cinquantaine de périodes.

La durée de l'incendie en fonction de p montre un pic aux alentours du seuil (figure 2.14). De nouveau, l'explication se fait avec la présence d'amas finis avant le seuil de percolation et celle d'un amas infini au-dessus. Pour de faibles valeurs de p, les bosquets touchant le bord gauche sont réduits et le feu dure peu longtemps. Au fur et à mesure que p augmente, la complexité et la taille des bosquets s'accroît, prolongeant d'autant la durée de vie de l'incendie. Au-dessus du seuil, c'est la complexité des bosquets qui diminue, car le nombre d'arbres augmentant, les arbres isolés de l'amas infini sont de moins en moins nombreux. Lorsque p atteint environ 70 %, le pic observable dans la durée de l'incendie traduit l'agglutination nouvelle d'un bosquet de taille importante au bosquet percolant. Le « pontage » s'opère vers la droite du réseau et les arbres de l'amas annexé n'ont ainsi par encore eu le temps de brûler, ce qui augmente la durée d'activité de l'incendie. Aux alentours de 75 %, le gros amas récemment incorporé reçoit un nouveau point d'attache situé plus à gauche du réseau. Les arbres de ce bosquet ont alors la possibilité de brûler plus tôt et le retard qu'ils provoquaient s'efface ainsi de la courbe de durée de l'incendie. Lorsque p est unitaire, on retrouve la situation du verger évoquée précédemment : la durée des deux événements devient identique.

Quelques extensions du modèle

Le modèle basique de feu de forêt possède de nombreuses possibilités d'extensions. La progression du feu peut alors devenir plus facile ou plus difficile, selon la nature des modifications apportées aux hypothèses de base.

L'une des extensions suppose que le feu ne se propage plus exclusivement par les « plus proches voisins » d'un arbre. Cette modification s'apparente à une modification de la notion d'entourage d'un site23. Dans une forêt de résineux, on peut ainsi considérer que le feu se transmet plus facilement. En ce sens, un arbre enflammé peut par exemple transmettre le feu à ses « proches voisins ». Dans la modélisation d'un réseau carré, ce proche voisinage se compose des sites (les cases) ayant un côté ou un coin en commun avec le site de référence. D'un point de vue géographique, les proches voisins d'un site dans un réseau carré sont au nombre de huit : nord, nord-est, est, sud-est, sud, sud-ouest, ouest, nord-ouest. Ce voisinage de transmission autour du site de départ peut ensuite s'élargir à une seconde couronne, puis une troisième, etc. Dès lors, plus le voisinage est important, plus la propagation du feu est facile et moins la structure forestière doit avoir une proportion d'arbres importante pour permettre la percolation de l'incendie.

De façon opposée, le feu peut avoir plus de difficulté à se transmettre. C'est par exemple le cas si la forêt est humide et que les arbres sont mieux protégés des flammes. Dans ce cas, la condition pour qu'un arbre s'enflamme peut alors exiger qu'au moins deux arbres de son plus proche voisinage soient en feu. Dans le modèle basique, un seul arbre enflammé suffisait à la transmission du brasier. Cette obligation bilatérale étant moins fréquemment vérifiée que celle du modèle basique, le feu se propage plus difficilement. La structure forestière minimale pour que l'incendie évolue se caractérise alors par des valeurs de p plus importantes.

Les profils de la durée moyenne d'un incendie dans ces deux modèles étendus sont repris sur la figure 2.15.


Figure 2.15: Profils de la durée moyenne d'un incendie dans divers modèles

    (1) : Modèle basique de feu de forêt
    (2) : Modèle avec propagation aux arbres du proche voisinage
    (3) : Modèle avec propagation exigeant deux plus proches voisins enflammés
Source : Stauffer et Aharony (1992), p. 6

Les résultats du modèle de propagation aux arbres du proches voisinages correspondent à la courbe (2). Ceux du modèle exigeant deux arbres enflammés sont représentés sur la courbe (3). La modification du degré de difficulté que l'incendie connaît lors de son évolution sur le réseau, s'observe en comparant les résultats du modèle basique (courbe (1)). Le modèle de la courbe (2) facilite la propagation de l'incendie, alors que celui de la courbe (3) la complique. Dans une forêt avec une faible proportion d'arbres, selon les règles de propagation retenues, l'incendie peut ainsi avoir un profil différent.

Les deux modèles présentés ne sont que quelques unes des extensions pouvant s'envisager. Les caractéristiques du vent, des arbres, du début de l'incendie, la façon dont se régénère la forêt et bien d'autres facteurs peuvent venir compléter l'analyse des feux de forêt. L'objectif de cette section était de mettre en avant la notion de complexité plus ou moins grande que connaît un phénomène lorsqu'il évolue sur une structure hétérogène, selon les propriétés de cette dernière. Ainsi, diverses notions de durée ont été présentées, en relation avec la complexité du support produit par un réseau de percolation.





La présentation des propriétés de conduction d'un réseau, de diffusion et de feu de forêt a permis de souligner quelques aspects dynamiques concernant le modèle de percolation24. Dans chacun de ces modèles, la structure de réseau était donnée par un problème de percolation, c'est-à-dire selon la valeur du paramètre p caractérisant son hétérogénéité. Dans cette situation, la structure servait de support à un processus de propagation (électricité, particule ou feu). Ces phénomènes de transport s'apparentaient alors aux aspects dynamiques sur la structure. Une autre façon d'envisager la question de la dynamique, dans le cadre d'un problème de percolation, consiste à s'intéresser aux aspects de la structure comme phénomène évolutif.


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