Previous Up Next
© 2001 - Stéphane PAJOT   [ Percolation et économie ]

2.2  Aspects dynamiques de la structure

Dans la section précédente, la structure de percolation était fixée. Le réseau aléatoire et hétérogène servait alors de support à la propagation d'un objet. L'analyse a ainsi mis en évidence des caractéristiques différentes qui montrent que dans le contexte des phénomènes de transport, le support est essentiel mais pas suffisant pour spécifier une évolution : sur une même structure donnée, caractérisée par une valeur inférieure au seuil de percolation, la propagation du courant électrique est nulle alors que celle d'un feu de forêt est finie mais non nulle. Au dessus du seuil, le courant électrique ne passe que sur les sites de l'épine dorsale alors qu'un feu se propage également sur les bras morts de l'amas infini.

Dans cette section, la structure est variable. Elle laisse de côté les problèmes liés au transport sur une structure donnée pour s'intéresser à la dynamique de la structure elle-même : comment progresse un phénomène dont l'évolution se définit par la théorie de la percolation ? De façon plus précise, la section s'intéresse à la dynamique de la structure sous l'angle des modèles de croissance d'un seul amas. Elle ne traite pas les questions de dynamique relatives à la relaxation spontanée d'une configuration vers l'équilibre, aux corrélations temporelles de l'évolution physique et spatiale des amas ou à la réponse du système face aux influences extérieures. Cette limitation trouve sa justification dans l'absence d'universalité des résultats, ceux-ci dépendant de la nature des sites et de l'interprétation qui est donnée à leur activité (Lesne, 1996, p. 332).

Dans ce sens, pour présenter les aspects dynamiques de la structure, nous aborderons tout d'abord les notions générales qui sont liées aux modèles de croissance (§ 2.2.1). Les propriétés de trois modèles seront ensuite successivement présentées : modèle d'Eden (§ 2.2.2), modèle d'épidémie (§ 2.2.3) et modèle d'invasion (§ 2.2.4).

2.2.1  Modèles de croissance de la structure

Après une définition générale des modèles de croissance, les conséquences sur l'interprétation historique des amas seront mises en évidence. Quelques propriétés géométriques particulières seront ensuite abordées, avant de terminer par une discussion sur l'équivalence des résultats par rapport au modèle statique.

Définition

Les modèles de croissance se définissent par des règles de croissance. Lorsque les règles de deux modèles sont différentes, ils sont considérés distincts même si le résultat géométrique final est identique (Herrmann, 1986, p. 155). À titre d'exemple, le modèle d'Eden qui sera développé dans le § 2.2.2, possède un algorithme de croissance qui lui est spécifique. La règle se décompose approximativement en :
  1. choisir un site de façon aléatoire parmi les plus proches voisins d'un site actif ;
  2. rendre actif le site choisi.
Dans ce cas, l'évolution s'observe après un nombre arbitraire d'itérations ou bien lorsque l'amas atteint les bords du réseau. Par la nature de cette règle, la croissance prend ici un caractère probabiliste, car le choix du nouveau site contient une part d'aléa.

Les modèles de croissance géométrique se distinguent selon deux classes. Dans la première classe, les modèles se caractérisent par la croissance d'un seul objet alors que dans la seconde, de nombreux amas se développent conjointement. Cette distinction amène à l'observation de propriétés différentes. Après un nombre infini d'étapes de croissance, les modèles de la première classe montrent un comportement d'échelle caractérisé par des exposants critiques. Les modèles d'Eden, d'épidémie et d'invasion correspondent à des modèles de ce type. Dans les modèles de la deuxième classe, on peut observer l'agglutination des divers amas qui, individuellement, évoluent le plus souvent comme des modèles de la première classe. De là, un comportement d'échelle s'observe, dans un système de taille infinie, pour un nombre fini d'étapes de croissance. Les questions de percolation correspondant à la relaxation d'une configuration vers l'équilibre, à la corrélation temporelle des amas et à la réponse du système face aux influences extérieures, s'associent à des modèles de ce second type.

Les modèles de la deuxième classe apparaissent principalement comme les extensions de ceux de la première catégorie. Les modèles de la première classe présentent ainsi, un aspect à la fois plus fondamental et plus universel. Pour cette raison, le paragraphe n'aborde pas les modèles de la seconde classe.

Historicité de l'amas

Dans l'expression « modèles de croissance », le terme croissance insiste sur l'historicité du phénomène étudié. En ce sens, le résultat géométrique final d'un modèle de croissance est dépendant des conditions rencontrées tout au long de son évolution.

Pour souligner cet aspect historique, il est possible d'affecter une étiquette à chacun des sites actifs de l'amas. Cette étiquette précise la date à laquelle le site a rejoint l'amas. La figure 2.16 illustre deux représentations du même résultat géométrique.


Figure 2.16: Représentations de l'aspect historique d'un amas

(a) Date d'incorporation   (b) Niveaux de gris
 

Dans la situation (a) la date d'incorporation est fournie par le nombre précisé sur le site. Dans la situation (b) l'information est fonction du niveau de gris : plus le site est de couleur gris clair, plus sa présence dans l'amas est récente.

En observant les étapes de la construction d'un amas, l'analyse peut alors dépasser les informations qui seraient obtenues du seul point de vue statique (Herrmann, 1986, p. 171). Ainsi, la pondération statistique de configurations identiques se complète par une comparaison de leur plus ou moins grande similitude. Ce rapprochement est déterminé en fonction des trajectoires historiques du développement de l'amas. Pour illustrer ceci, la figure 2.17 représente les diverses configurations possibles de la croissance d'un amas suivant le modèle d'Eden, dans un réseau carré de taille 2 × 2.


Figure 2.17: Configurations possibles du modèle d'Eden (réseau 2 × 2)

Source : Herrmann (1986), p. 172

Selon cet algorithme, à chaque période, un site inactif voisin d'un site de l'amas, est choisi de façon aléatoire et devient à son tour élément de l'agrégat. À chaque période t, les pondérations affectées aux configurations possibles sont définies de façon à ce que leur somme soit égale à l'unité. On pose comme point origine, le site actif au coin sud-ouest du réseau. Le poids statistique de la configuration à t = 0 est par conséquent unitaire. À t = 1, deux configurations sont possibles, ce qui entraîne une pondération de 1/2 pour chacune. Enfin, aux périodes t = 2 et 3, la pondération passe à 1/4 car quatre possibilités sont concurrentes.

Dans un système statique, il est impossible de différencier les diverses configurations A, B, C et D obtenues à la troisième période. D'un point de vue dynamique au contraire, on est en mesure de les distinguer (Herrmann, 1986, p. 172). En tenant compte de l'historicité de l'amas, le rapprochement des configurations apparaît clairement entre AB d'une part et CD d'autre part. Ainsi, la plus grande similitude de leur histoire rend B plus proche de A, que D ne peut l'être. De la sorte, les informations sur la croissance d'un amas vont permettre de caractériser son évolution par rapport à d'autres schémas de développement concurrents.

Effets spécifiques liés à la croissance

Aborder un amas du point de vue dynamique a certaines conséquences sur l'interprétation et la géométrie des résultats.

Dans l'optique interprétative tout d'abord, un amas statique peut être le résultat final de chroniques différentes. En fonction de l'algorithme de croissance considéré, tous les historiques ne sont plus envisageables. Pour un amas donné, si l'on suppose que son développement s'est fait par un attachement successif d'éléments plus proches voisins, on peut par exemple préciser si une conjecture est ou non acceptable (Herrmann, 1986, p. 171). La figure 2.18 (a) présente un amas qui est le résultat final d'un modèle de croissance.


Figure 2.18: Conjectures de développement par le plus proche voisinage

(a) Résultat final   (b) Chronique possible   (c) Chronique impossible
   

Sous l'hypothèse que le développement s'effectue par le plus proche voisinage, on peut alors conclure sur l'éventualité de certaines chroniques. Sur la figure 2.18 (b), les dates d'incorporation de chaque élément sont compatibles avec l'hypothèse de croissance alors que sur la figure 2.18 (c), elles sont contradictoires. Le site intégré à la date 2 doit par exemple être un plus proche du site origine 1, ce qui n'est pas le cas sur la figure (c).

Certains modèles de croissance ont également des conséquences géométriques sur la forme finale de l'amas. À la différence des modèles statiques, les configurations des modèles de croissance sont construites par étapes, durant lesquelles l'amas peut se créer des obstructions (Herrmann, 1986, p. 174). Les conséquences vont de l'interdiction de certaines configurations géométriques à l'interruption de la croissance. Lorsque l'obstacle géométrique est produit par l'amas lui-même, l'effet est qualifié d'« entrave stérique » (steric hindrance), c'est-à-dire relatif à la configuration spatiale de l'agrégat (Herrmann, 1986, p. 175). Lors d'une marche aléatoire répulsive par exemple, la chronique est telle que le chemin d'intégration des nouveaux sites ne peut croiser un sentier déjà emprunté auparavant. La trace laissée lors de l'évolution va alors former un obstacle au développement de l'amas. La figure 2.19 (a) montre un exemple d'entrave stérique interdisant d'une part, certaines directions et rendant d'autre part, l'accès à la zone A plus complexe. Ces deux effets géométriques influencent par conséquent les possibilités de configurations finales.


Figure 2.19: Exemples de configurations avec effets d'entrave stérique

(a) Empêchement   (b) Piégeage
 
Source : Herrmann (1986), p. 175

Sur la figure 2.19 (b) l'effet est plus radical, car dans cette situation l'amas va s'enfermer par son propre développement, conduisant inévitablement à la fin de la croissance. Ce phénomène est qualifié de « piégeage » (trapping).

Dans le cadre dynamique, certains effets mettent ainsi en évidence des nuances entre les modèles de croissance et les modèles statiques. Pour d'autres situations cependant, les deux optiques amènent à des résultats identiques.

Équivalence avec les résultats statiques

Pour certains modèles de croissance, les amas obtenus à la fin du processus possèdent les mêmes caractéristiques que ceux des modèles statiques. C'est par exemple le cas du modèle d'épidémie dont le résultat géométrique est équivalent à celui des amas de percolation (Herrmann, 1986, p. 177)25.

À l'origine, les modèles de croissance n'étaient pas analysés comme des modèles en tant que tel. Ils étaient simplement considérés comme des outils produisant les amas des modèles statiques, par le biais de la simulation. Dès lors, la principale question consistait à formuler des règles de croissance amenant de la façon la plus efficace à des amas de grande taille, dont les caractéristiques étaient celles des modèles statiques.

Dans un problème de percolation, l'objectif consiste à définir l'état de chaque site d'un réseau, indépendamment de celui des autres sites : « occupé » avec la probabilité p ou « vide » avec la probabilité (1 – p). Ce qui distingue les différents mécanismes de croissance aboutissants à une configuration de percolation, c'est l'ordre suivant lequel on s'intéresse aux sites. Il est possible de définir ligne après ligne, l'état de chaque site sur l'ensemble d'un réseau donné. De là, on réalise une étude systématique de l'échantillon pour définir les divers amas. Cette méthode a l'avantage de prendre en compte l'ensemble des amas de l'échantillon et elle permet ainsi, l'analyse complète de leurs caractéristiques. Cette systématisation a cependant l'inconvénient d'exiger un grand nombre d'opérations et par suite un temps de calcul relativement important (Clerc et alii, 1983, p. 25). Un autre procédé consiste à faire croître un amas à partir d'un site occupé. La progression s'effectue en tirant au sort l'état des voisins de ce site origine. Une fois les limites de l'amas atteintes, l'analyse se porte alors vers un nouveau site origine. Cette méthode épargne la création du réseau dans son entier, mais elle souffre en échange d'une perte d'informations sur le reste du système.

Cette dernière méthode, issue des modèles de croissance, est qualifiée de « méthode de Leath », du nom de son auteur (Leath, 1976-a et 1976-b). De façon plus précise, la croissance débute sur un site occupé au milieu du réseau. Les plus proches voisins de ce site origine sont définis occupés avec la probabilité p ou vides avec la probabilité (1 – p). À la seconde étape, les plus proches voisins des sites occupés sont à leur tour définis occupés avec la probabilité p ou vide avec la probabilité (1 – p). Ainsi, une couronne (chimique) supplémentaire est ajoutée à chaque étape de la construction. De cette manière, le mécanisme se poursuit jusqu'à ce qu'il n'existe plus de sites permettant la croissance, ou jusqu'à ce que le nombre désiré de couronnes soit atteint. Par ce processus, la distribution des tailles d'amas obtenus est identique à celle d'un modèle de percolation, c'est-à-dire de la forme s ns (p) (Bunde et Havlin, 1991, p. 84). La figure 2.20 illustre la construction d'un amas par la méthode de Leath.


Figure 2.20: Construction d'un amas par la méthode de Leath

Source : Herrmann (1986), p. 179

Dans cet exemple, la croissance de l'amas s'achève à la dixième couronne, car il n'existe plus de sites actifs reliés à ceux de la neuvième. Dans ce cas, la progression n'a pas été limitée par la taille du réseau. L'arrêt est survenu parce qu'aucun site ne permettait de continuer. De la sorte, lorsque les amas ne touchent pas les bords du réseau, les effets de taille finie sont éliminés (Herrmann, 1986, p. 179)26.





Dans ce paragraphe, les modèles de croissance ont permis de considérer les amas sous un angle nouveau. Certains modèles ont, en ce sens, manifesté des spécificités par rapport aux modèles statiques. D'autres, au contraire, comme cela a été illustré pour la percolation, présentent des résultats équivalents à ceux d'un problème statique. Dans ce dernier cas, les modèles de croissance fournissent alors un cadre d'analyse différent pour étudier des phénomènes en réseau. Concernant plus particulièrement la percolation, nous allons à présent nous intéresser à trois de ces modèles.

2.2.2  Le modèle d'Eden

Le modèle d'Eden déjà évoqué précédemment, est un des modèle de croissance les plus simples. Après s'être arrêté sur l'algorithme de base et quelques unes de ses extensions, nous présenterons les caractéristiques du modèle à travers quelques illustrations.

Algorithme du modèle d'Eden

Le modèle d'Eden est un modèle de croissance locale (Eden, 1961, pp. 222-239). La règle de croissance du modèle de base se décompose en deux étapes :
  1. choisir un site de façon aléatoire parmi les sites du périmètre ;
  2. rendre actif le site choisi.
Le périmètre correspond à l'ensemble des sites inactifs plus proches voisins d'au moins un site actif. À la période initiale par exemple, un site est choisi au milieu d'un réseau carré. Son périmètre se compose de quatre sites représentés par le symbole « ? » (figure 2.21 (a)).


Figure 2.21: Croissance du modèle d'Eden

(a) t = 0   (b) t = 1   (c) t = 2   (d) t = 3
     
? : sites du périmètre

À la période suivante, un site est sélectionné au hasard parmi ces quatre candidats (figure 2.21 (b)). Le périmètre se modifie en conséquence et sa taille varie. Ici, le nombre d'éléments parmi lesquels il va falloir choisir un nouveau site augmente. De cette façon, l'amas a une trajectoire qui évolue au gré de l'aléa avec lequel les nouveaux sites sont sélectionnés (figure 2.21 (c) et (d)).

Dans cet algorithme, le processus s'arrête soit lorsque l'amas atteint les bords du réseau, soit après un nombre donné d'itérations. En effet, selon la règle du modèle d'Eden, la croissance ne peut s'inhiber d'elle-même car le périmètre n'est jamais vide. Autrement dit, il existe toujours des sites permettant la croissance de l'amas.

Au-delà de ce modèle de base, il existe de nombreuses variantes. L'une d'elles remplace l'étape (i) du modèle original, par deux instructions (Herrmann, 1986, p. 158) : Dans ce modèle, la probabilité pour un site du périmètre d'être tiré au sort est d'autant plus importante que le nombre de ses plus proches voisins actifs est élevé. Cette modélisation se distingue ainsi du modèle initial où chaque site du périmètre est sélectionné de façon équiprobable.

Le modèle d'Eden réversible est une autre variante du modèle de base (Williams et Bjerknes, 1972, repris dans : Herrmann, 1986, p. 159). L'algorithme consiste à rendre actif un site voisin de la surface de l'amas avec probabilité p et à rendre inactif le site de la surface avec probabilité 1 – p. L'amas peut alors se retrouver fragmenté en plusieurs agrégats.

La dernière extension que nous évoquerons, consiste à remplacer l'instruction (i) du modèle d'Eden original, par (Herrmann, 1986, p. 159) : Cet algorithme de croissance empêche la formation de boucles. Il est par conséquent qualifié de modèle d'Eden arborescent.

Dans le point suivant, les résultats de quelques simulations vont permettre d'illustrer les principales caractéristiques du modèle d'Eden.

Simulations numériques

La figure 2.22 montre l'évolution typique d'un amas construit avec le modèle d'Eden. Au fur et à mesure que le nombre d'itérations augmente, l'amas prend une forme de plus en plus sphérique. Sur la figure (a), l'amas a une forme relativement spécifique qui dépend de la trajectoire stochastique avec laquelle les sites ont été sélectionnés.


Figure 2.22: Évolution typique d'un amas avec le modèle d'Eden

(a) 500 itérations (b) 2 000 itérations (c) 5 000 itérations
     

À ce stade, il peut exister de fortes différences entre les résultats géométriques de deux simulations. Au bout de 2 000 itérations, l'amas est relativement plus compact mais il possède toujours un aspect fortement accidenté à sa périphérie (figure (b)). Sur la figure (c), l'amas montre une forme plus homogène. Quelques excroissances sont toujours visibles, mais elles sont modestes relativement à la taille de l'amas.

Le nombre d'itérations augmentant, l'amas prend ainsi une forme sphérique de plus en plus régulière. La figure 2.23 illustre l'aspect circulaire obtenu après 15 000 itérations. Parallèlement, on constate également que les sites à l'intérieur de l'amas deviennent quasiment tous actifs. Dans ces conditions, la densité intérieure de l'amas est qualifiée de forte.


Figure 2.23: Circularité et densité de l'amas pour un grand nombre d'itérations

(15 000 itérations)

Poursuivant ce raisonnement, lorsque le nombre d'itérations tend vers l'infini, tous les sites à l'intérieur deviennent actifs. Par conséquent, l'amas est « compact », c'est-à-dire que sa densité intérieure est de 100 % (Herrmann, 1986, p. 158).

D'une simulation à l'autre, les résultats géométriques du modèle d'Eden vont montrer quelques différences. Ces disparités existent principalement sur la frontière de l'amas. Ainsi, plus le nombre d'itérations est grand, plus l'amas est de taille importante et moins les différences vont être sensibles. La partie intérieure de l'amas est alors commune à l'ensemble des simulations. Une certaine régularité peut ainsi être mise en évidence (Kindermann et Snell, 1980-b, pp. 86-87). Pour illustrer ceci, on réalise 50 simulations du modèle d'Eden dont on ne retient que les sites ayant été actifs dans au moins 20 d'entre elles. Le résultat graphique est représenté sur la figure 2.24, où les axes se coupent au point d'origine de la croissance.


Figure 2.24: Régularité géométrique sur diverses simulations

(5 000 itérations)

Le modèle d'Eden montre ainsi les régularités géométriques de son développement. De la sorte, lorsque l'on compare cet amas avec le résultat particulier d'une simulation (figure 2.22 (c)), la frontière manifeste un aspect beaucoup moins fondamental que l'intérieur de l'amas.





L'algorithme du modèle d'Eden est relativement simple. Il se base sur un mécanisme de croissance locale. Un site est choisi dans le périmètre de l'amas et il devient mécaniquement élément de l'amalgame. La règle de croissance amène rapidement à un amas presque parfaitement concentrique dont l'intérieur est très dense, voir compact. Le modèle d'Eden peut s'interpréter comme le cas particulier d'un algorithme plus général : le modèle d'épidémie.

2.2.3  Le modèle d'épidémie

Contrairement au modèle d'Eden où un site sélectionné devient automatiquement élément de l'amas, le modèle d'épidémie n'accepte pas tous les sites candidats. Après avoir présenté l'algorithme de base du modèle d'épidémie, les résultats de quelques simulations numériques seront proposés.

Algorithme du modèle d'épidémie

Le modèle d'épidémie possède un algorithme de croissance plus élaboré que le modèle d'Eden. Après avoir retenu un candidat, une certaine sélection s'opère. La règle de croissance se décompose en (Herrmann, 1986, p. 160) :
  1. choisir un site de façon aléatoire parmi les sites du périmètre ;
  2. rendre ce site actif avec la probabilité p ou le neutraliser avec la probabilité 1 – p, sachant que : 0 < p £ 1.
De la sorte, l'adhésion du site à l'amas est tirée au sort. S'il est admis, le site devient un élément de l'amas, sinon il est neutralisé et ne peut plus être sélectionné comme candidat.

À la période initiale, un site est par exemple choisi au milieu d'un réseau carré. Son périmètre est alors formé par ses quatre plus proches voisins : « ? » (figure 2.25 (a)).


Figure 2.25: Croissance du modèle d'épidémie

(a) t = 0   (b) t = 1   (c) t = 2   (d) t = 3
     
? : sites du périmètre

À la période suivante, un site du périmètre est sélectionné au hasard. Pour déterminer si ce site va appartenir à l'amas, un nombre est tiré au sort entre 0 et 1. Sa valeur est comparée à la valeur de p fixée au départ. Si elle est inférieure, le site sélectionné devient actif, sinon le site est neutralisé : « »27. L'opération est ensuite réitérée. Sur la figure 2.25 (b) par exemple, le site candidat est neutralisé alors que sur la figure 2.25 (c), il est activé. Au fur et à mesure du développement, le périmètre évolue : les sites neutralisés sont supprimés du périmètre et les plus proches voisins des nouveaux sites actifs sont ajoutés. L'effectif du périmètre peut ainsi augmenter ou diminuer d'une période à l'autre (figure 2.25 (d)).

Dans cet algorithme, la croissance s'arrête dans trois situations. Il peut tout d'abord s'agir d'une règle arbitraire, après un nombre d'itérations donné. Ensuite, si les bords du réseau sont atteint, le développement s'arrête. Enfin, fait nouveau par rapport au modèle d'Eden, la croissance peut s'éteindre d'elle-même. Cette situation se produit lorsque le périmètre de l'amas est vide et qu'aucun élément ne peut plus perpétuer l'évolution. En ce sens, le modèle d'Eden apparaît comme le cas particulier du modèle d'épidémie où p = 1, c'est-à-dire où l'ensemble des sites sélectionnés devient élément de l'amas et où le périmètre ne cesse d'augmenter.

Le terme d'épidémie tient à l'interprétation faite dans le cas de la propagation d'une maladie. Les sites actifs correspondent aux personnes « malades ». Les sites neutralisés s'associent aux personnes « immunisées ». Les sites inactifs s'interprètent comme des individus qui n'ont « pas encore été confrontés à la maladie ». Sur la figure 2.25 par exemple, un individu est malade. Il peut entrer en contact avec ses quatre plus proches voisins. Il rencontre son voisin au nord. Celui-ci ne contracte pas la maladie. Ayant été en contact avec le microbe sans développer la maladie, il est alors immunisé (immunité acquise). Il rencontre ensuite son voisin à l'ouest qui, lui, devient malade et peut transmettre la maladie. Dans ce cadre, la valeur de p correspond à la virulence de l'agent infectieux. Plus elle est importante, plus l'agent infectieux aura de facilité à dépasser le niveau de protection immunitaire innée du candidat (le chiffre aléatoire), et plus la maladie va se propager de façon globale.

Des modèles plus élaborés peuvent s'envisager en différenciant notamment, les individus malades et contagieux de ceux qui ne sont plus contagieux28.

Simulations numériques

Le résultat d'une simulation, obtenu après 1 000 itérations du modèle d'épidémie, est exposé sur la figure 2.26.


Figure 2.26: Amas obtenu avec le modèle d'épidémie

(a) Spécification des catégories de sites   (b) Sites actifs uniquement
 
(1 000 itérations, 587 sites activés)

Deux représentations sont proposées. La première spécifie les diverses catégories de sites (figure (a)). Les sites actifs sont en gris, les sites neutralisés sont représentés par des « », et ceux du périmètre sont symbolisés par des « · ». Ces derniers étant susceptibles de prolonger la croissance, il sont également appelés « sites de croissance » (growth sites). La seconde représentation ne reprend que les sites actifs, c'est-à-dire l'amas tel qu'il apparaît à la fin (figure (b)).

Il est important de préciser que la taille de l'amas n'est pas équivalente au nombre d'itérations accomplies durant la simulation. Lorsqu'un site est sélectionné pour faire partie de l'amas, soit il devient actif et la taille de l'amas augmente, soit il est neutralisé et la taille ne change pas, mais dans les deux cas le nombre d'itérations effectuées est augmenté d'une unité. Dans l'exemple de la figure 2.26, les 1 000 itérations se décomposent en 587 acceptations où le site est devenu actif et en 413 refus où le site a été neutralisé. La taille de l'amas final est par conséquent de 588 sites (587 augmentations et 1 site origine).

Lorsque le nombre d'itérations tend vers l'infini, deux types de sites se distinguent au sein de l'amas (Herrmann, 1986, p. 161). Il existe d'une part, les sites dont l'état (actif ou neutralisé) a été défini par la règle de croissance du modèle d'épidémie et d'autre part, les sites qui n'ont pas été atteint par le mécanisme de croissance. Cette « éviction » du développement s'explique par les enclaves que forment les sites neutralisés autour de certains territoires. Les sites à l'intérieur de ces zones d'exclusion sont de la sorte, hors d'atteinte de la croissance. Ces sites sont représentés en blanc à l'intérieur de l'amas sur la figure 2.26 (a). Lorsque les sites actifs uniquement sont représentés (figure (b)), la distinction entre les sites enclavés et les sites neutralisés n'est plus aussi transparente. Les éléments du premier type étant, indépendamment les uns des autres, actif avec probabilité p et neutralisé avec probabilité (1 – p), le résultat géométrique obtenu correspond exactement à un amas de percolation. Par conséquent et afin de mettre en évidence la structure de l'amas, les figures suivantes reprennent exclusivement les sites actifs de la simulation.

En accord avec la théorie de la percolation, l'amas évolue différemment selon la valeur de p. La figure 2.27 illustre le développement d'un amas selon la valeur de p.


Figure 2.27: Auto-extinction de la croissance (p < pc)

(a) p = 0,45 (b) p = 0,5 (c) p = 0,55
     
(87 itérations, 40 sites activés) (198 itérations, 97 sites activés) (1 573 itérations, 871 sites activés)

Sur la figure (a), la virulence de la maladie est faible : p = 0,45. Au bout de 87 itérations, l'amas se trouve entouré par une bordure de sites neutralisés. La croissance s'arrête d'elle-même. La taille de l'amas est de 40 sites en plus de l'origine. De façon identique, dans le cas où p = 0,5 et p = 0,55 l'évolution s'annule, respectivement, après 198 et 1 573 itérations. La taille des amas obtenus est de 97 sites en plus de l'origine dans le premier problème (figure (b)) et 871 sites dans le second (figure (c)).

Concrètement, la valeur en dessous de laquelle la croissance s'arrête (amas de taille finie) et au dessus de laquelle elle se perpétue (amas de taille infinie) correspond au seuil de percolation pc. Puisque le problème se pose dans un réseau carré de sites, la valeur de pc est proche de 60 %29. Ainsi, pour une valeur de p = 0,6, la croissance de l'amas est sans bornes (figure 2.28).


Figure 2.28: Croissance illimitée (p = 0,6 ~ pc)

(a) 500 itérations (b) 2 000 itérations (c) 5 000 itérations
     
(305 sites activés) (1 206 sites activés) (3 046 sites activés)

Mise à part le cas où la taille maximale du réseau est fixée, la seule limite au développement de l'amas correspond au nombre d'itérations effectuées pendant la simulation. Si l'algorithme était répété une infinité de fois, la taille de l'amas tendrait alors vers l'infini.

Lorsque la virulence augmente, la structure de l'amas devient de plus en plus dense (figure 2.29).


Figure 2.29: Structure de l'amas au-dessus du seuil (5 000 itérations)

(a) p = 0,6 (b) p = 0,7 (c) p = 0,9
     
(3 046 sites activés) (3 537 sites activés) (4 475 sites activés)

Au fur et à mesure que la valeur de p augmente, l'amas final a une croissance de plus en plus centrée par rapport au site d'origine, car il rencontre de moins en moins de résistance. Au seuil, l'amas est très lacunaire. Des trous de différentes tailles existent sur l'ensemble de la structure (figure (a)). Lorsque p s'élève, la densité de l'amas augmente. À p = 0,7 la structure est nettement moins lacunaire, mais il subsiste tout de même de nombreux trous de petites tailles (figure (b)). Lorsque p atteint 90 %, la structure de l'amas est très dense. Le nombre de trous est faible et leur taille réduite (figure (c)). Pour p = 1, le problème correspond au modèle d'Eden et la structure devient compacte30.





Le mécanisme de croissance du modèle d'épidémie intègre parfaitement le cadre de la percolation. Ce processus de croissance local sélectionne un site dans le périmètre de l'amas, puis il applique une règle d'acceptation ou de refus du candidat selon une probabilité p donnée. Selon que cette valeur de p est supérieure ou non au seuil de percolation, le développement de l'amas croît de façon infinie ou s'arrête de lui-même. L'amas résultant de cet algorithme respecte ainsi la théorie de la percolation. Un autre modèle génère lui aussi, des amas identiques à ceux d'un problème de percolation : le modèle d'invasion.

2.2.4  Le modèle d'invasion

Le modèle physique d'invasion a pour objectif d'étudier comment un fluide est repoussé par un autre fluide, dans un milieu poreux. Après avoir présenté l'algorithme de croissance du modèle, les résultats de quelques simulations numériques seront présentés.

Algorithme du modèle d'invasion

Lorsque de l'eau est lentement injectée dans un milieu poreux rempli de pétrole, les forces de capillarité dominent les forces de viscosité (Wilkinson et Willemsen, 1983, pp. 3365-3366)31. Ainsi, la dynamique est déterminée par le rayon r du pore local : les forces capillaires sont plus importantes aux passages les plus étroits. Par conséquent, et en accord avec les observations expérimentales, le déplacement peut alors se représenter comme une suite de mouvements discrets durant lesquels l'eau repousse le pétrole à partir du pore ayant le rayon le plus faible.

Pour modéliser ce phénomène, on affecte selon une loi uniforme, un nombre aléatoire à tous les sites d'un réseau. Cette valeur comprise entre 0 et 1 s'identifie au rayon du pore local : plus il est proche de l'unité, plus la résistance est forte. De la sorte, l'amas progresse en sélectionnant le site du périmètre ayant le chiffre le plus bas. La règle de croissance se décompose en deux points :
  1. choisir le site ayant la plus faible résistance parmi les sites du périmètre ;
  2. rendre ce site actif.
L'amas final obtenu va ainsi mettre en évidence le « chemin de moindre résistance ».

Selon cet algorithme, la croissance s'arrête lorsque l'amas joint les bords du réseau ou lorsque le nombre maximum d'itérations est atteint. L'évolution ne peut être bloquée d'elle-même, car le périmètre n'est jamais vide.

Ce modèle élémentaire ne tient pas compte des problèmes de « piégeage » du fluide défenseur (le pétrole) par le fluide envahisseur (l'eau). En effet, au fur et à mesure que l'eau pénètre le milieu poreux, le pétrole est chassé, mais il arrive également que l'eau entoure certaines poches de pétrole qui se trouvent alors enfermées par effet de piégeage (trapping effect). Ce phénomène de « résidus » peut avoir des conséquences économiques importantes dans l'industrie pétrolière, car pour diminuer ce type de pertes l'extraction doit être plus efficace et par conséquent plus coûteuse (Stauffer et Aharony, 1992, p. 134).

La distinction entre les deux types de modèles dépend principalement des propriétés du fluide défenseur. S'il est compressible, il n'y a pas de piégeage. Les sites du périmètre qui se trouvent à l'intérieur d'une poche fermée font également partie des sites susceptibles d'appartenir à l'amas. Au contraire, si le fluide est incompressible, il y a piégeage et les sites de la poche intérieure ne peuvent pas être des sites de croissance. Dès lors, le fluide envahisseur ne peut pas progresser à l'intérieur des secteurs emprisonnés.

Le point suivant illustre certaines propriétés du modèle d'invasion sans piégeage à travers quelques simulations numériques32.

Simulations numériques

Dans la version du modèle d'invasion sans piégeage, le nombre d'itérations est équivalent au nombre de sites activés. La taille de l'amas correspond alors au nombre d'itérations plus une unité pour le site origine. La figure 2.30 montre l'évolution d'un amas après différentes périodes.


Figure 2.30: Évolution d'un amas avec le modèle d'invasion

(a) 500 itérations (b) 2 000 itérations (c) 5 000 itérations
     

Alors qu'au bout de 500 itérations, l'amas montre une certaine concentration aux environs de l'origine (figure (a)), un étirement relativement important apparaît 1 500 itérations plus tard (figure (b)). Ce développement totalement imprévisible se confirme sur la figure (c) où de nouvelles excroissances se sont ajoutées. Ainsi, dans le quart nord-est, des sites qui dès le départ auraient pu porter la croissance ne sont utilisés qu'après avoir épuisé tous les sites de résistance inférieure. Ce type de croissance amène par conséquent a des résultats de forme variées et imprévisibles. La figure 2.31 illustre la diversité géométrique des amas obtenus avec le modèle d'invasion, après un nombre important d'itérations.


Figure 2.31: Diversité des amas avec le modèle d'invasion

(a) Exemple 1 (b) Exemple 2 (c) Exemple 3
     
(5 000 itérations)

Par le biais de simulation de Monte-Carlo, D. WILKINSON et J.F. WILLEMSEN ont étudié la structure des amas du modèle d'invasion. Dans le cas avec absence de piégeage, la correspondance avec le modèle standard de percolation est clairement mise en évidence. Intuitivement, le problème consiste à activer tous les sites d'un réseau dont le nombre aléatoire associé est inférieur ou égal à la valeur de p*, tel que p* soit la valeur minimale nécessaire pour que l'amas percole. Le modèle d'invasion correspond alors à un sous ensemble des points qui sont actifs dans le modèle de percolation (Wilkinson et Willemsen, 1983, p. 3375). Les valeurs du seuil estimées dans le cas de l'invasion sont alors très proches des valeurs du seuil de percolation (tableau 2.1). Les valeurs du seuil de percolation sont précisées à titre de comparaison33.


Table 2.1: Valeurs estimés du seuil dans le modèle d'invasion sans piégeage

  Réseau seuil invasion seuil percolation
2D Nid d'abeille (hexagonal) 0,6983 0,697
Carré 0,5931 0,593
Triangulaire 0,5013 1/2
3D Cubique simple 0,3116 0,307
Source : Wilkinson et Willemsen (1983), p. 3370

Cependant, même si les résultats géométriques obtenus par le modèle d'invasion sont proches de ceux d'un problème de percolation, il existe tout de même des différences (Stauffer et Aharony, 1992, p. 135). Dans le modèle d'invasion, l'amas percole toujours à travers le réseau et par conséquent, il n'existe pas d'amas de taille finie. De plus, le problème ordinaire de percolation se réalise dans un contexte statique alors que le modèle d'invasion est un processus dynamique.





Cette section a souligné les aspects dynamiques de la structure à travers les modèles de croissance. Cette interprétation particulière de la percolation a amené d'une part, des spécificités et des problématiques originales comme l'historicité de l'amas, et d'autre part, un nouvel outil pour réaliser des simulations numériques. Après avoir montré les particularités géométriques de certains modèles de croissance, l'équivalence des résultats obtenus avec ceux des problèmes statiques a été montrée. En ce sens, l'algorithme et les propriétés des modèles d'épidémie et d'invasion ont été présentés. Pour continuer à explorer les concepts avancés de la percolation, nous allons à présent nous attarder sur des modèles plus complexes modifiant le modèle de base.


Previous Up Next