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© 2001 - Stéphane PAJOT   [ Percolation et économie ]

1.4  Caractéristiques statiques

En considérant la percolation d'un point de vue statique, nous présenterons dans un premier temps les diverses grandeurs qui la caractérise (§ 1.4.1). Pour rendre compte du comportement de ces grandeurs au voisinage du seuil de percolation, ces statistiques conduiront dans un deuxième temps à la présentation des concepts de lois d'échelle et d'exposants critiques (§ 1.4.2). Enfin, après une introduction au concept de géométrie fractale, de nouvelles propriétés concernant les amas de percolation seront présentées (§ 1.4.3).

1.4.1  Grandeurs caractéristiques

Dans un contexte statique, la situation d'un problème de percolation se décrit à travers quelques grandeurs fondamentales comme le nombre d'amas de taille s normalisé par site, la probabilité d'appartenir à l'amas infini, la taille moyenne des amas finis et les longueurs caractéristiques.

Nombre d'amas de taille s normalisé par site

La plus simple des grandeurs caractéristiques du problème de percolation est le nombre ns d'amas de taille s, normalisé par site. Dans un échantillon fini comportant N sites, ns est la moyenne du nombre d'amas de taille s : (1)31. Pour le réseau infini, ns est la limite de cette moyenne lorsque le nombre de sites tend vers l'infini : (2) (Clerc et alii, 1983, p. 16).

Pour un échantillon fini de N sites :
ns =
nombre total d'amas de taille  s
N
    (1)

Pour un réseau de taille infinie :
ns =
 
lim
N ® ¥
nombre total d'amas de taille  s
N
    (2)

En dimension un, le calcul de ns est trivial car le réseau correspond à une droite où la structure des sites est régulière (figure 1.31, p. ??). Puisque l'activité des sites est aléatoire et statistiquement indépendante, la probabilité pour que deux sites soient actifs est p2, pour trois p3, pour s sites ps, etc32. Pour obtenir un amas de taille s, il faut s sites actifs et deux sites inactifs (un de chaque côté). De manière probabiliste ceci se traduit par ps (1 – p)2. La taille du réseau est N sites. Pour chaque site, la probabilité de faire partie d'un amas de taille s étant ps (1 – p)2, le nombre d'amas de taille s est alors N ps (1 – p)2. Le nombre ns étant une moyenne (voir (2)), pour la dimension d = 1 l'équation devient :
ns =
 
lim
N ® ¥
N ps (1 – p)2
N
= ps (1 – p)2     (3)

Cette définition (3) n'est cependant plus valide lorsque la dimension est supérieure à un. En dimension deux dans un réseau carré par exemple, un amas de taille s peut avoir de nombreuses configurations appelées « animaux »33. Selon la forme de l'animal, l'amas de taille s possède ainsi le même nombre de sites occupés mais pas toujours le même nombre de sites inactifs. Prenons l'exemple de s = 4 et des dix-neuf animaux qui y sont associés (figure 1.34).


Figure 1.34: Configurations d'un amas de taille s = 4 en deux dimensions

       
2   8   4   4   1
Source : adapté de Stauffer et Aharony (1992), p. 25

Le chiffre situé sous chaque animal correspond au nombre de fois où l'on trouve cette configuration. Pour la première configuration, il est possible de trouver quatre sites alignés de façon verticale comme sur la figure 1.34, mais à une rotation près il est aussi possible de les trouver horizontalement. Il existe alors deux possibilités pour obtenir cette configuration sur le réseau carré. Ce chiffre correspond à la pondération qui s'associe à chaque structure « site actifs / périmètre » pour le calcul de ns. À titre d'illustration, le tableau 1.7 reprend les résultats du nombre d'animaux de taille s dans le réseau carré, calculés par D.H. REDELMEIER34.


Table 1.7: Nombre d'animaux dans un réseau carré selon la taille de l'amas

taille nombre taille   nombre   taille      nombre     
1 1 9 9 910 17 400 795 844
2 2 10 39 446 18 1 540 820 542
3 6 11 135 268 19 5 940 738 676
4 19 12 505 861 20 22 964 779 660
5 63 13 1 903 890 21 88 983 512 783
6 216 14 7 204 874 22 345 532 572 678
7 760 15 27 394 666 23 1 344 372 335 524
8 2 725 16 104 592 937 24 5 239 988 770 268
Source : Redelmeier (1981), (voir note de bas de page n° 1.4.1, p. ??)

Le périmètre (noté t) est défini comme le nombre de voisins inactifs de l'amas qui sont notés «×» sur la figure 1.34. Il tient compte des sites autour de l'amas mais aussi de ceux qui se trouvent à l'intérieur d'éventuels trous. En dimension un, t = 2 quelle que soit la taille de l'amas alors que dans des dimensions supérieures, il existe de multiples valeurs de t pour une même taille d'amas. Dès lors, il n'est plus possible de fixer l'exposant de (1 – p) à deux pour le calcul de ns. On note gst le nombre de configurations d'amas de taille s et de périmètre t. Le calcul du nombre d'amas de taille s normalisé par site devient alors (Stauffer et Aharony, 1992, p. 25) :
ns =
 
å
t
gst ps (1 – p)t     (4)

La probabilité pour qu'un site arbitraire soit actif et élément d'un amas de taille s est par conséquent s ns, c'est-à-dire le nombre de sites dans un amas multiplié par le nombre de ces amas normalisé par site. Si, par exemple, sur un échantillon de taille N = 100, on observe neuf amas de taille s = 2, la probabilité qu'un site soit actif et dans un amas de taille deux est : 2 × (9/100) = 0,18. Cette probabilité correspond alors exactement à la fréquence observée du nombre de sites dans des amas de taille deux : 18 %.

Le nombre total d'amas de toute taille, noté G(p), normalisé par site est (Clerc et alii, 1983, p. 14) :
G(p) =
 
å
s
ns     (5)

Probabilité d'appartenir à l'amas infini

Soit P¥ (p) la probabilité qu'un site appartienne à l'amas infini. Dans un échantillon de taille finie, la probabilité qu'un site soit un élément de l'amas percolant se détermine en faisant le rapport du nombre de sites dans l'amas infini par le nombre total de sites actifs :
P¥ (p) =
nombre de sites de l'amas infini
nombre de sites actifs
    (6)

Lorsque p < pc, il n'existe pas d'amas infini. Par conséquent, la probabilité d'y être attaché est nulle. À p = pc, le caractère lacunaire de l'amas infini suggère qu'il occupe une fraction nulle du réseau (Lesne, 1996, p. 320). Enfin, si p > pc, les simulations et les expériences amènent à supposer un comportement critique. De façon formalisée, ceci se résume par :
ì
í
î
P¥ (p) = 0   si   p £ pc
P¥ (p) » (ppc) b   si   p ³ pc
    (7)

En dimension d £ ¥, l'observation expérimentale de la probabilité d'appartenir à l'amas infini en fonction de p montre la divergence de la dérivée [ d P¥ / d p ](p) au seuil de percolation, car le graphe de P¥ (p) possède une tangente verticale en pc (Lesne, 1996, p. 320). Ceci illustre le caractère critique de la transition à p = pc. La relation décrite pour p ³ pc est appelée « loi d'échelle » et l'exposant b qui en est issu est qualifié d'« exposant critique ». Ces deux notions feront l'objet du paragraphe suivant (voir § 1.4.2).

Selon la même logique que pour l'amas infini, il est possible de calculer la probabilité d'appartenir à un amas fini. Dans un échantillon, cela revient à rapporter le nombre de sites actifs en amas fini au nombre total de sites :
 
å
s
s ns =
nombre de sites en amas fini
nombre total de sites actifs ou non
    (8)

Sachant P¥ (p), la probabilité qu'un site ne soit pas élément de l'amas infini est 1 – P¥ (p). Pour qu'un site appartienne à un amas fini, il faut qu'il soit actif. En conséquence, la probabilité pour qu'un site fasse partie d'un amas fini est :
 
å
s
s ns = p (1 – P¥ (p))     (9)

Pour p < pc, il n'existe pas d'amas infini d'où P¥ (p) = 0. Dans (9), la probabilité qu'un site arbitraire appartienne à un amas fini est alors égale à la probabilité p qu'il soit occupé.

Taille moyenne des amas finis

La probabilité qu'un site quelconque appartienne à un amas de taille s est ns s, et celle qu'il fasse partie de n'importe quel amas fini est ås s ns. Soit ws la probabilité que l'amas auquel appartient un site actif arbitraire contienne exactement s sites :
ws =
ns s
 
å
s
ns s
    (10)
De là, la taille moyenne des amas finis se calcule telle que :
S =
 
å
s
ws s =
 
å
s
ns s2
 
å
s
ns s
    (11)

Cette définition du nombre moyen de sites par amas fini reste valable à la condition que l'amas infini, s'il existe, soit exclu de la somme. En intégrant (9), le calcul de la taille moyenne des amas finis devient :
S(p) = ì
ï
ï
í
ï
ï
î
 
å
s
s2 ns / p (1 – P¥ (p))
  si   p > pc
 
å
s
s2 ns / p
  si   p < pc
    (12)

Longueurs caractéristiques

La fonction de corrélation Cfini (p, r) se définit comme la probabilité qu'un site r0 + r (à une distance r d'un site r0) soit occupé et fasse partie du même amas que r0, sachant que celui-ci est actif et qu'il n'appartient pas à l'amas infini (Lesne, 1996, p. 322). Cette grandeur est normalisée telle que Cfini (p, r) = 1 pour une distance r = 0. La fonction de corrélation pour l'amas infini Cinfini (p, r) suit la même définition pour des valeurs de p > pc. À chacune de ces fonction de corrélation sont associées des longueurs caractéristiques selon les définitions suivantes :
xfini2 (p) =
 
å
r
r2 Cfini (p, r) · é
ê
ê
ë
 
å
r
Cfini (p, r) ù
ú
ú
û
– 1



 
    (13)
xinfini2 (p) =
 
å
r
r2 Cinfini (p, r) · é
ê
ê
ë
 
å
r
Cinfini (p, r) ù
ú
ú
û
– 1



 
    (14)

Les longueurs de corrélation xfini (p) pour 0 £ p £ 1 et xinfini (p) pour pc £ p £ 1, sont un premier type de longueur caractéristique. Celles-ci sont non nulles alors que l'état de chaque site est indépendant de l'état des autres sites. Le rayon de giration moyen xg (p) des amas finis est une deuxième façon de préciser la longueur caractéristique. Il s'interprète comme une longueur de connexité. La troisième catégorie de longueur caractéristique est l'échelle x¥ (p) au dessus de laquelle l'amas infini est homogène.





Pour terminer sur les grandeurs caractéristiques d'un problème de percolation, la figure 1.35 représente le schéma d'évolution et de dépendance de quelques grandeurs en fonction de la proportion de sites actifs p.


Figure 1.35: Évolution et dépendance de quelques grandeurs en fonction de p

Source : Sahimi (1994), p. 13

Le modèle de percolation correspond ici à un modèle de sites dans un réseau cubique simple. La probabilité d'appartenir à l'amas infini est notée P¥ (p). La proportion de sites actifs qui font partie de l'amas infini est notée XA (p). La proportion de sites actifs et isolés est représentée par XI (p). Enfin, la proportion de sites dans l'épine dorsale (Backbone) est notée XB (p). Cette dernière grandeur correspond aux sites actifs appartenant à l'amas infini débarrassé de ses bras morts 35. En référence avec l'électricité, cette épine dorsale est formée par les éléments à travers lesquels passe le courant : les boucles et les liens sensibles36. L'épine dorsale d'un amas percolant a un rôle fondamental, car selon le degré de complexité des chemins conducteurs, elle influence les propriétés de transport dans le système (Sahimi, 1994, p. 12).

1.4.2  Lois d'échelle et exposants critiques

La valeur des grandeurs obtenues dans un problème de percolation dépend des éléments microscopiques du système comme par exemple la coordinence. Cependant, au voisinage du seuil critique, la plupart de ces grandeurs ont des comportements qui sont indépendants de la structure du réseau et des détails microscopiques (Sahimi, 1994, p. 14). Après un exposé des diverses lois d'échelle qui décrivent ces comportements en théorie de la percolation, elles seront mises en évidence dans le cas du réseau de Bethe. Chaque exposant critique étant lié à une loi d'échelle particulière, nous évoquerons enfin les relations qu'entretiennent les divers exposants ainsi que les estimations de leurs valeurs respectives.

Lois d'échelle

Au voisinage de pc, l'insensibilité du comportement des grandeurs caractéristiques d'un problème de percolation aux détails microscopiques de la structure sur lequel il évolue, se résume dans les relations appelées « lois d'échelle ». Celles-ci concernent principalement x (p), P¥ (p), S(p) et ns (p). Le degré de validité de ces relations n'étant pas totalement connu, les termes des diverses équations seront séparés par la relation logarithmique »37.

Pour des valeurs inférieures au seuil aussi bien que pour des valeurs supérieures, la taille linéaire des amas finis se caractérise par la longueur de corrélation x. Elle se définit comme la distance moyenne entre deux sites du même amas. Au voisinage de pc, c'est-à-dire lorsque ppc est faible, la longueur de corrélation augmente selon (Bunde et Havlin, 1991, p. 56) :
x(p) » |ppc|n   pour   p ® pc
    (15)
L'exposant n est identique pour p > pc et p < pc et il ne dépend que de la dimension d. Autrement dit, la longueur de corrélation croît au dessous du seuil de la même façon critique qu'elle décroît au dessus du seuil (Clerc et alii, 1983, p. 17).

Pour un site, la probabilité d'appartenir à l'amas infini P¥ (p) dépend de la proportion d'éléments actifs. Au voisinage du seuil critique, la décroissance de P¥ (p) vers 0 s'effectue selon une loi puissance de ppc au fur et à mesure que p tend vers pc par valeurs supérieures. De façon formelle, ceci se traduit par (Grimmett, 1989, p. 149) :
P¥ (p) » (ppc) b   pour   p ¯ pc
    (7)
Le coefficient b dépend lui aussi de la dimension d du modèle, mais contrairement à la longueur de corrélation, la loi d'échelle n'est valide que pour des valeurs supérieures au seuil. En effet, la probabilité d'existence d'un amas infini est nulle pour p < pc d'où une probabilité nulle d'en faire partie.

La taille moyenne des amas finis S (p) suit également une loi d'échelle. Au voisinage de pc, son évolution est supposée diverger selon la relation suivante (Bunde et Havlin, 1991, p. 56) :
S(p) » |ppc|g   pour   p ® pc
    (16)
Là aussi, le coefficient g dépend de la dimension où évolue le problème. De plus, la valeur de g est identique au dessus et au dessous du seuil de percolation.

À p = pc, le nombre d'amas de taille s normalisé par site est supposé différentiable deux fois mais pas trois. On postule alors que la troisième dérivée de ns satisfait la relation (Grimmett, 1989, p. 150):
n'''s » |ppc|– 1 – a   pour   p ® pc
    (17)
avec – 1 £ a < 0. Une nouvelle fois, l'exposant a est dépendant de la dimension du modèle et il est identique lorsque p tend vers pc par valeur inférieure ou supérieure.





Les lois d'échelles insistent sur le caractère critique de la transition de percolation. Elles rendent compte de l'évolution de certaines grandeurs statistiques au voisinage du seuil de percolation. La caractéristique principale de ces lois d'échelle est leur universalité, car les exposants qui sont liés à chacune d'entre elles ne dépendent que de la dimension du problème et pas des détails du réseau (Kesten, 1987, p. 1239).

Résultats dans le réseau de Bethe

Dans le réseau de Bethe, il est possible de déterminer de façon exacte la valeur du seuil de percolation pc = 1 / (z – 1), avec z le nombre de voisins par site (§ 1.3.3, p. ??). Ce réseau particulier autorise aussi la détermination des grandeurs caractéristiques d'un problème de percolation.

Le réseau de Bethe est une structure sans boucle où z branches partent d'un point origine38. Sur la première couronne, c'est-à-dire la première génération de voisins de l'origine, on trouve z sites. De chacun de ces sites partent (z – 1) nouvelles branches qui correspondent alors à des « sous-branches » de l'origine (figure 1.36).


Figure 1.36: Structure du réseau de Bethe

Source : Stauffer et Aharony (1992), p. 29

Sur la deuxième couronne, il existe par conséquent z (z – 1) sites. La distance euclidienne r n'a pas de signification dans cette structure et le réseau se décrit alors par la distance chimique l entre deux sites. Un site sur la l-ième couronne se trouve ainsi à une distance chimique l de l'origine. Sur cette l-ième couronne, le réseau possède z (z – 1)l – 1 sites. En dimension euclidienne d finie, le nombre de sites augmente par conséquent de façon exponentielle sur chaque couronne l, selon ld – 1. De là, le réseau de Bethe peut être considéré comme un réseau de dimension infinie. Suivant les propriétés d'universalité, les exposants obtenus dans le réseau de Bethe s'appliquent dès lors à tous les réseaux de dimension infinie (Bunde et Havlin, 1991, p. 67). La dimension critique semble être dc = 6 pour les phénomènes de percolation39. Selon cette hypothèse, l'ensemble des réseaux de dimension d ³ 6 auraient des exposants de valeurs identiques à ceux du réseau de Bethe.

La fonction de corrélation g(l) correspond au nombre moyen de sites dans le même amas et à une distance l d'un site arbitraire. Pour que deux sites actifs soient à une distance l, il faut que les l – 1 sites qui les séparent soient également actifs. Chaque couronne possède z (z – 1)l – 1 sites et l'activité de chaque site est indépendante. Ceci se traduit par (Bunde et Havlin, 1991, p. 68) :
g(l) = z (z – 1)l – 1 pl     (18)
À partir de (18), on calcule la longueur de corrélation xl dans l'espace l :
xl2 =
¥
å
l = 1
l2 g(l)
¥
å
l = 1
g(l)
= pc
pc + p
(pcp)2
,     p < pc     (19)
L'exposant de corrélation dans l'espace l est alors égal à 1.

Le calcul de la taille moyenne des amas finis est obtenu par la relation :
S = 1 +
¥
å
l = 1
g(l)     (20)
En substituant (18) dans (20), ceci se transforme en :
S = pc
1 + p
pcp
,      p < pc     (21)
En conséquences, l'exposant g est égal à un dans le réseau de Bethe.

Concernant le nombre d'amas de taille s normalisé par site ns (p), il est tout d'abord nécessaire de revenir sur la notion de périmètre en tenant compte des singularités du réseau étudié. Dans le réseau de Bethe et contrairement au réseau carré (voir § 1.4.1, p. ??), il existe une relation simple entre le nombre s de sites dans un amas et le nombre t de sites dans le périmètre (Bunde et Havlin, 1991, p. 69) :
t(s) = z + (s – 1) (z – 2)     (22)
De là, le calcul du nombre d'amas de taille s est simplifié par rapport à l'équation générale (4) :
ns (p) = gs ps (1 – p)2 + (z – 2) s     (23)
avec gs le nombre de configurations possibles d'un amas de s sites.

Pour étudier le comportement de ns au voisinage du seuil, il est nécessaire de développer p (1 – p)z – 2 autour de pc = 1 / (z – 1), c'est-à-dire :
ns (p) ~ ns (pc) fs (p)     (24)
fs (p) = (1 – [(ppc)2 / 2 pc2 (1 – pc)])s. Lorsque s augmente, fs (p) décroît de façon exponentielle. Autrement dit, fs (p) = exp(– c s) avec c ~ (ppc)2. Au voisinage du seuil, fs (p) est ainsi une fonction qui ne dépend que de la variable combinée (ppc) ss, avec s = 1/2. La dérivation montre que ce résultat est valide lorsque p tend vers pc par valeur inférieure ou supérieure. Par conséquent, l'exposant s décrit la vitesse à laquelle le nombre d'amas de taille s décroît en fonction de s, lorsque p est au dessus ou au dessous du seuil. Dans le réseau de Bethe, il est possible de calculer de façon exacte le nombre gs de configurations des amas et par la même occasion de déterminer ns (pc). Une autre approche consiste à supposer que ns (pc) suit une loi puissance (Fisher M.E., 1967, repris dans Bunde et Havlin, 1991, p. 69) :
ns (pc) ~ st     (25)
L'exposant t s'obtient à partir de (11) et (24) :
S =
1
p
 
å
s
s2 ns (p) ~
 
å
s
s2 – t ecs ~
¥
ó
õ
s = 1
s2 – t ecs d s     (26)
soit, en substituant z = c s :
S ~ ct – 3
¥
ó
õ
z = c
z2 – t ez d z     (27)
Pour t < 3, l'intégrale est non singulière lorsque c tends vers zéro. Le calcul de la taille moyenne des amas finis devient alors S ~ |ppc|(r – 3)/ s, où l'exposant g se définit par (Bunde et Havlin, 1991, p. 70) :
g = (3 – t) / s     (28)
Puisque g = 1 et s = 1/2, la valeur de t est 5/2, ce qui est en accord avec l'hypothèse t < 3.

La probabilité P¥ d'appartenir à l'amas infini est en relation avec ns. En effet, chaque site dans le réseau est soit inactif avec la probabilité (1 – p), soit actif et membre de l'amas infini avec la probabilité p P¥, soit actif sans faire partie de l'amas percolant avec la probabilité p (1 – P¥) º ås s ns :
(1 – p) + p P¥ + p
 
å
s
s ns = 1     (29)
De (29) on retire alors :
P¥ = 1 –
1
p
 
å
s
s ns     (30)
ce qui permet de déterminer la valeur de l'exposant b. Lorsque p < pc, (30) est vérifiée puisque ås s ns = p et P¥ = 0. Sous forme d'intégrale, (30) ne peut être traitée comme une constante car l'équation est singulière lorsque c tend vers zéro. Pour éliminer cette singularité, (30) se décrit sous la forme :
P¥ =
1
p
 
å
s
s (ns (pc ) – ns (p)) + (ppc ) /p     (31)
La somme est proportionnelle à ct – 2 òz = c¥ z1 – t [1 – exp(– z)] d z. Lorsque z prend de faibles valeurs, [ 1 – exp(– z)] tend vers z. Dans ce cas l'intégrale n'est plus singulière, d'où :
P¥ ~ ct – 2 + const × (ppc )     (32)
De (24) on détermine c. Il est alors possible de calculer la valeur de l'exposant b :
b = (t – 2) / s     (33)
En substituant t = 5/2 et s = 1/2 dans (33), on obtient b = 1 dans le réseau de Bethe.

De (11) et (30), on remarque que la taille moyenne des amas finis et la probabilité d'appartenir à l'amas infini sont respectivement le second et le premier moment de la fonction de distribution des amas ns (p). Le moment zéro, ( M0 º ås ns ) correspond au nombre moyen d'amas normalisé par site. Pour être de l'ordre de |ppc|, M0 est tel que :
M0 º
 
å
s
ns ~ |ppc|2 – a     (34)
ce qui définit l'exposant a. En effectuant le calcul par intégration, ceci se traduit par :
2 – a = (t – 1)/s     (35)
De là on retire a = – 1.





Dans le réseau de Bethe, contrairement à la valeur du seuil de percolation, les divers exposants qui ont été évoqués (a, b, g, s et t) sont indépendants de z. Ce fait rend compte du caractère universel des exposants critiques liés aux comportements d'échelle des grandeurs statistiques au voisinage de pc. Ces exposants ont également montré certaines interrelations. Nous allons à présent revenir sur ces relations ainsi que sur le résultat des estimations de ces exposants critiques.

Exposants critiques : relations et valeurs estimées

Les exposants critiques attachés aux lois d'échelles ne sont pas indépendants (Sahimi, 1994, p. 16 ; Kesten, 1987, p. 1240). La théorie physique d'échelle suppose que ces exposants sont interdépendants selon deux types de relations : les relations d'échelle et les relations d'hyper-échelle40.

Les relations d'échelle sont les équations de correspondance entre exposants. Certaines d'entre elles ont déjà été évoquées pour le réseau de Bethe (voir § 1.4.2, pp. ??-??) mais elles sont également valides dans l'ensemble des réseaux :
g =
(3 – t)
s
    (28)
b =
(t – 2)
s
    (33)
2 – a =
(t – 1)
s
    (35)
Il existe d'autres relations comme (Stauffer et Aharony, 1992, pp. 38-39) :
s =
1
(b + g )
    (36)
t = 2 +
b
( b + g )
    (37)
2 – a =
(t – 1)
s
= 2 b + g     (38)

La validité de ces relations d'échelle n'est généralement pas contestée (Grimmett, 1989, p. 151). Elles montrent ainsi que tout dépend de deux exposants, peu importe qu'il s'agisse de s et t, ou b et g car de ces deux exposants il est possible de déduire tous les autres (Stauffer et Aharony, 1992, p. 40). De (38) par exemple, on détermine a à partir de b et g. Ces relations d'échelle sont utilisées depuis 1960 dans les problème de transition de phase thermique. Elles ont été étendues à la percolation en 1969 par P.W. KASTELEYN et C.M. FORTUIN41.

Les relations d'hyper-échelle sont plus discutables42. Elles associent les exposants à la dimension du problème. À titre d'exemple, on peut citer la relation (Grimmett, 1989, p. 153) :
n d = 2 – a     (39)
Les lois d'hyper-échelle ne sont supposées valides que pour des dimensions inférieures à dc la dimension critique. Pour des dimensions d ³ dc, le processus de percolation semble se comporter de la même façon que dans un arbre régulier de taille infinie (voir § 1.4.2, p. ??).

Les lois d'échelle et d'hyper-échelle peuvent se combiner pour déterminer la valeur des exposants. Le tableau 1.8 reprend les résultats des estimations pour divers exposants critiques, dans le problème basique de percolation, où l'activité d'un site est aléatoire et indépendante de celle des autres sites.


Table 1.8: Valeurs des exposants critiques pour le modèle basique

Exposant d = 2  d = 3  d = 4  d = 5 d = 6 – e Bethe
   a       – 2/3       – 0.62       – 0.72       – 0.86       – 1 + e /7        – 1   
   b       5/36       0.41       0.64       0.84       1 – e /7       1   
   g       43/18       1.80       1.44       1.18       1 + e /7       1   
   n       4/3       0.88       0.68       0.57       1/2 + 5e /84       1/2   
   s       36/91       0.45       0.48       0.49       1/2 + O (e2)       1/2   
   t       187/91       2.18       2.31       2.41       5/2 – 3 e /14       5/2   
Source : Stauffer et Aharony (1992), p. 52

Comme pour la détermination du seuil de percolation, ces résultats ont été obtenus par le calcul lorsque cela était possible ou par des estimations (voir § 1.3.3). Les nombres rationnels sont des résultats exacts et ceux ayant au moins une décimale sont des estimations numériques (Stauffer et Aharony, 1992, p. 52). Ces valeurs sont à l'origine de classes d'universalité. Ainsi, lorsque deux phénomènes sont décrits par deux ensembles d'exposants différents, ils sont considérés comme appartenant à des classes d'universalité différentes (Sahimi, 1994, p. 16). Par conséquent, les lois physiques qui gouvernent les deux phénomènes sont elles aussi considérées distinctes. Ceci fournit un outil pour comparer un problème au modèle de base ou à un autre modèle.

De façon symétrique, si deux modèles ne suivent pas les mêmes règles, ils n'appartiennent pas à la même classe d'universalité. Le modèle basique suppose que l'activité d'un site est aléatoire et statistiquement indépendante de celle des autres sites. Si dans la même structure l'activité des sites dépend par exemple de l'activité d'un ou plusieurs sites (voisins ou autres), la classe d'universalité des deux modèles n'est alors plus la même. Les exposants liés au comportement des grandeurs statistiques observées sur le réseau seront par conséquent différents de ceux du tableau 1.8.





Au travers de ce paragraphe, les grandeurs macroscopiques telles que la longueur de corrélation, la probabilité d'appartenir à l'amas infini, la taille moyenne des amas finis et le nombre d'amas de taille s normalisé par site, ont montré une évolution sous la forme de fonctions puissances de (ppc) ou |ppc| au voisinage de pc. À chacune de ces fonctions, nommées lois d'échelle, est associée un exposant universel. Les relations entre exposants du type loi d'échelle ou loi d'hyper-échelle, ont illustré la dépendance des diverses grandeurs les unes par rapport aux autres. La notion de classe d'universalité a aussi été évoquée en indiquant qu'au voisinage de pc et pour une classe particulière, les détails microscopiques du réseau était négligés. En conséquence, la valeur des exposants critiques n'est apparue dépendre que de la dimension du problème et pas de la forme de la structure sur laquelle se posait le modèle. Cette dimension euclidienne d qui a été utilisée jusqu'à présent, n'est cependant pas la seule dimension liée à la notion de percolation. En effet, certaines propriétés structurelles proviennent de la géométrie fractale et possèdent une dimension fractale.

1.4.3  Géométrie fractale et percolation

La complexité de certains objets naturels ne peut être décrite par les outils de la géométrie classique. Pour les modéliser, il est alors nécessaire d'utiliser la géométrie fractale. En théorie de la percolation, elle permet de préciser certaines caractéristiques qui dépassent la géométrie traditionnelle. Après avoir explicité la notion de fractale, nous verrons la dimension qui est associée à l'amas percolant, puis celle liée au graphe lui-même et enfin celle qui correspond aux sous-structures de la représentation.

Notion de fractale

B. MANDELBROT est à l'origine de la théorie fractale moderne. En 1975, il crée le néologisme fractale, diminutif de « dimension fractionnaire », qui s'associe à un ensemble mathématique ou à un objet physique fractal43. Selon ses propres termes, l'adjectif fractal est employé dans le cas (Mandelbrot, 1995, p. 154) :
« [...] d'une figure géométrique ou d'un objet naturel qui combine les caractéristiques que voici. A) Ses parties ont la même forme ou structure que le tout, à ceci près qu'elles sont à une échelle différente et peuvent être légèrement déformées. B) Sa forme est, soit extrêmement irrégulière, soit extrêmement interrompue ou fragmentée, quelle que soit l'échelle d'examen. C) Il contient des "éléments distinctifs" dont les échelles sont très variées et couvrent une très large gamme. »
Pour illustrer un des aspect de la géométrie fractale, B. MANDELBROT pose la question de la longueur de la côte bretonne (Mandelbrot, 1995, pp. 20-32). Il envisage de la mesurer sur une carte de France avec un double décimètre et obtient une première estimation. Suivant le même procédé mais en utilisant une carte d'état-major, le résultat s'accroît. En parcourant la côte à pied, la longueur de la côte augmente encore car il devient nécessaire de faire le tour des rochers qui n'existaient pas sur les cartes. À l'échelle d'une fourmi, la côte bretonne deviendrait gigantesque car l'insecte devrait tenir compte de l'irrégularité de la moindre pierre. Cette expérience illustre parfaitement le fait que la longueur soit variable et relative à l'échelle utilisée pour la mesurer. La variation de cette longueur approchée, notée L(h), en fonction de l'unité d'échelle h a été étudiée par L.F. RICHARDSON en 1961 (Mandelbrot, 1995, p. 22). Cette analyse montre que L(h) est proportionnel à ha où l'exposant a dépend de la côte étudiée. C'est B. MANDELBROT qui par la suite a interprété 1 + a comme une dimension fractale44.

Pour des objets géométriques classiques, il est très simple de calculer la dimension fractale qui les caractérise45. Un segment peut être divisé en N parties égales. Ces N parties correspondent au segment initial réduit par un facteur d'échelle r = 1/N. Dans ce cas, la relation entre r et N est triviale : N r = 1. Sur la figure 1.37 (a) par exemple, le segment est coupé en trois parties, soit N = 3.


Figure 1.37: Dimension fractale pour trois objets géométriques classiques

(a) Segment   (b) Carré   (c) Cube
   

Le facteur de réduction est alors r = 1/3 et la relation N r = (3) (1/3) = 1, est vérifiée. De même que pour un segment, les côtés d'un carré peuvent être divisés en parties égales afin d'obtenir N carrés identiques au carré initial à un facteur d'échelle près. La relation entre r et N est dans ce cas : N r2 = 1. Sur la figure 1.37 (b) par exemple, les côtés des carrés sont divisés en trois parties, soit un facteur de réduction pour chaque côté de r = 1/3. La transformation d'échelle amène à N = 9 carrés et la relation N r2 = (9) (1/9) = 1 se vérifie. Enfin, si les trois côtés d'un cubes sont réduits d'un facteur r pour obtenir N cubes identiques, la relation est : N r3 = 1. Dans l'exemple de figure 1.37 (c), le facteur de réduction est r = 1/3, et le nombre de cubes engendré est N = 27. La relation N r3 = (27) (1/27) = 1 est alors satisfaite.

Selon la géométrie ordinaire, les objets simples étudiés ci-dessus ont des dimensions entières : le segment, le carré et le cube sont respectivement de dimension 1, 2 et 3. De plus, ces dimensions apparaissent de façon systématique comme l'exposant D de la relation N rD = 1, où N est le nombre de sous-unités égales et r le facteur d'échelle. Ainsi et de façon générale, pour un ensemble formé de N copies de l'original réduites par un facteur d'échelle constant r, la valeur Ds qui vérifie la relation N rDs = 1 correspond à la dimension fractale ou dimension d'homothétie interne de l'ensemble46. La formule qui exprime Ds en fonction du facteur de réduction r et du facteur du nombre d'éléments N est :
Ds =
log1/N
logr
    (40)

Trouver les mêmes éléments géométriques à différentes échelles est l'une des caractéristiques des fractales appelée self-similarité ou homothétie interne47. De façon plus précise, la self-similarité se définit comme l'invariance des propriétés géométriques d'un objet aux transformations d'échelles homothétiques. La « courbe de von Koch », construite en 1904 par H. VON KOCH, est l'exemple classique d'une courbe continue non rectifiable à homothétie interne (Mandelbrot, 1995, p. 34). Son élaboration consiste à itérer une application définie par un générateur sur un initiateur. Dans le cas de la courbe de von Koch, l'initiateur correspond à un segment ( ) et le générateur à un segment de même taille, dont le tiers central est remplacé par deux petits segments joints de taille égale au segment central supprimé ( ). Formellement, ceci se traduit par un facteur de réduction r = 1/3 et un facteur du nombre d'éléments N = 4. En conséquence, la courbe de von Koch a pour dimension fractale Ds = log(1/4) / log(1/3) ~ 1,26186.

La notion mathématique de dimension fait référence au nombre de vecteurs composant une base d'espace vectoriel. De façon intuitive, la dimension peut s'interpréter comme le nombre minimal de déplacements standards pouvant décomposer un mouvement quelconque : le point qui ne permet aucun déplacement est de dimension zéro, la droite qui ne permet que le glissement est de dimension un, le plan est de dimension deux, l'espace physique est de dimension trois, etc. La dimension fractale de la courbe de von Koch Ds ~ 1,26 indique que l'objet représenté n'est plus vraiment une ligne et pas tout à fait une surface (figure 1.38).


Figure 1.38: Une partie de la courbe de von Koch

Source : Frankhauser (1994), p. 44 (réalisé avec l'extension fractals.nb, voir note de bas de page n° 1.4.3, p. ??)

L'intérieur de cette courbe est appelée « flocon de neige » ou « île de von Koch ». Le stade initial de l'île de von Koch est un triangle. À chaque itération, on applique la transformation définie par le générateur de la courbe de von Koch en remplaçant chaque partie droite (Frankhauser, 1994, p. 44). Les quatre premières étapes de la construction sont illustrées sur la figure 1.39.


Figure 1.39: Étapes de la construction de l'île de von Koch

(a) Étape initiale (b) 1re étape (c) 2e étape (d) 3e étape (e) 4e étape
           
Source : Mandelbrot (1995), p. 34 (réalisé avec l'extension fractals.nb, voir note de bas de page n° 1.4.3, p. ??)

L'île de von Koch a un périmètre de taille infinie. Ceci se vérifie en étudiant séparément les côtés du triangle initial. En supposant que chaque segment initial K0 est de taille 1, la courbe K1 obtenue après transformation est de taille 4/3. La courbe K2 obtenue à la deuxième itération est de taille 42 / 32. De façon successive, à la n-ième itération la taille de la courbe Kn est 4n / 3n º (4/3)n. Lorsque n tend vers l'infini, la taille de la courbe Kn, et par conséquent celle du périmètre de l'île, tend vers l'infini.

Le tapis de Sierpinski est une autre structure fractale régulière. Le procédé de construction diffère cependant. À l'inverse de la courbe de von Koch, la construction du tapis de Sierpinski supprime un élément à chaque itération. Le nombre de reproductions de l'objet initial diminue ainsi à chaque étape. En joignant les milieux des côtés d'un triangle plein, il se divise en quatre triangles pleins équilatéraux. Le triangle se trouvant à l'intérieur du triangle initial est vidé. La figure 1.40 illustre l'opération lorsque qu'elle est réitérée quatre fois.


Figure 1.40: Étapes de la construction du tapis de Sierpinski

(a) Étape initiale (b) 1re étape (c) 2e étape (d) 3e étape (e) 4e étape
           
Source : Stauffer et Aharony (1992), p. 104 (réalisé avec l'extension fractals.nb, voir note de bas de page n° 1.4.3, p. ??)

La transformation se traduit formellement par r = 1/2 et N = 3 car chaque côté du triangle est divisé par deux et parce qu'un triangle plein donne naissance à trois autres triangles pleins. La dimension fractale du tapis de Sierpinski est Ds = log(1/3) / log(1/2) ~ 1,58496.

Dans un volume, le procédé de suppression itérative d'une partie de l'objet de départ engendre un objet appelé éponge de Menger. La figure 1.41 montre les trois premières étapes de la construction de l'éponge de Menger dans un cube.


Figure 1.41: Étapes de la construction de l'éponge de Menger

(a) Étape initiale (b) 1re étape (c) 2e étape (d) 3e étape
(Réalisé avec l'extension fractals.nb, voir note de bas de page n° 1.4.3, p. ??)

Pour cette fractale self-similaire, N = 20 et r = 1/3 dans les trois directions x, y et z. La dimension fractale de l'éponge de Menger est alors Ds = log(1/20) / log(1/3) ~ 2,72683. On notera que chaque face de cette éponge correspond à un tapis de Sierpinski itéré sur une base carrée.




Il est relativement simple de calculer la dimension d'homothétie interne pour des objets obtenus par itérations successives, mais cette méthode mise en évidence pour des fractales régulières n'est pas applicable pour des fractales comme celles de la figure 1.42.


Figure 1.42: Exemples de fractales irrégulières

(a) Vol brownien fractionnaire (b) Côte imaginaire (c) Continent imaginaire
     
Source : adapté de Mandelbrot (1995), p. 115, p. 119 et p. 121

(a) et (b) réalisés avec un applet Java (disponible en ligne sur http://polymer.bu.edu/java/)
(c) réalisé avec l'extension Fractals.nb de R. WILDER (disponible en ligne sur http://www.mathsource.com)

Ces objets appartiennent à la classe des fractales irrégulières, également appelées fractales aléatoires.

Le calcul de la dimension d'homothétie interne pour des fractales irrégulières peut s'effectuer selon plusieurs méthodes dont l'une a été évoquée pour mesurer la côte bretonne (p. ??). Différentes unités d'échelles sont utilisées pour mesurer la longueur d'une courbe avec des segments de taille identique. Une relation permet ensuite d'estimer D à partir de ces résultats48. Un autre algorithme standard pour l'analyse fractale fonctionne par le biais de quadrillages successifs de l'objet.

Cette technique de quadrillage à résolution variable est appelée « comptage de boîtes » (box-counting). Elle mesure pour différentes échelles, le nombre de boîtes nécessaires à la couverture d'un objet. La longueur N de cet objet varie en fonction de la taille l du côté des boîtes. Une relation du type ( N = const   lD ) permet ensuite de calculer la dimension d'homothétie interne de l'objet analysé. À titre d'illustration, l'exemple de trois quadrillages à des échelles différentes est représenté sur la figure 1.43.


Figure 1.43: Quadrillage d'une côte imaginaire à diverses échelles

(a) l = 100 et N = 13 (b) l = 50 et N = 26 (c) l = 10 et N = 161
     
(Réalisé avec un applet Java disponible en ligne sur http://polymer.bu.edu/java/)

L'objectif étant de calculer la dimension fractale d'une côte imaginaire en deux dimensions, les boîtes sont en l'occurrence des carrés de côté l. Dix échelles ont été utilisées de façon successive. Le nombre de carrés nécessaires pour recouvrir la ligne côtière a été calculé pour chaque quadrillage49. Les résultats sont résumés dans le tableau 1.9 et repris graphiquement sur la figure 1.44.


Table 1.9: Résultats du découpage de la côte imaginaire

Taille des carrés (l) Nombre de carrés (N)
10 161
20 74
30 48
40 31
50 26
60 20
70 16
80 13
90 14
100 13



Figure 1.44: Résultats graphiques du découpage de la côte imaginaire


Sur la représentation bi-logarithmique du nombre N de carrés en fonction de leur taille unitaire l, il apparaît clairement que les points obtenus se groupent de manière satisfaisante autour d'une droite d'ajustement. Dans ces conditions, l'hypothèse d'une fractalité peut alors être acceptée (Frankhauser, 1994, p. 77). La valeur de la pente permet de déterminer la dimension d'homothétie interne de la ligne côtière. La dimension fractale correspond à D = – pente, c'est-à-dire D = 1,145 pour la côte imaginaire de la figure 1.43.

Cette méthode de comptage de boîtes est particulièrement bien adaptée à l'étude de structures numériques. Il existe cependant un problème pratique lié au découpage, lorsque l'écartement des mailles ne permet pas de couvrir l'objet de façon précise. Par exemple, le découpage d'un objet de 200 pixels de longueur en boîtes de 50 pixels, se fait précisément avec 4 carrés. Le même objet découpé en mailles de 55 pixels exige aussi 4 carrés, mais la surface couverte est en réalité de 220 pixels de long. Cette une des raisons pour lesquelles dans le tableau 1.9, le nombre de carrés nécessaires pour le découpage l = 80 est inférieur à celui calculé pour l = 90. Dans la mesure du possible, il est préférable de choisir la taille des carrés telle que la fenêtre d'analyse soit recouverte de façon exacte.





En résumé, la géométrie fractale s'associe à la notion de self-similarité, c'est-à-dire à l'homothétie interne de la structure d'un objet. Elle met aussi en évidence des relations puissances entre les variables de taille (longueur, surface ou volume) et les variables d'échelle. Enfin, elle se caractérise par une dimension géométrique non-entière : la dimension fractale. Appliquée à la percolation, la géométrie fractale fournit un cadre d'analyse supplémentaire pour l'étude de certaines grandeurs statistiques.

Dimension fractale de l'amas infini

En percolation, la structure des amas peut se décrire de façon efficace avec le concept de fractale (Stanley, 1977, repris dans Bunde et Havlin, 1991, p. 58). Au seuil de percolation, l'amas infini contient des « trous » de différentes tailles formés par les sites absents ou inactifs. La figure 1.45 illustre l'aspect self-similaire de l'amas percolant à pc.


Figure 1.45: Self-similarité de l'amas percolant au seuil de percolation

(a) (b) (c)
     
(amas de taille 7363 sites)

En d'autres termes, on retrouve les mêmes propriétés géométriques à toutes les échelles supérieures à l'unité et inférieures à la taille du réseau. En ce sens, l'amas infini correspond à une fractale.

La dimension fractale Df de l'amas percolant décrit comment en moyenne, la masse M de l'amas évolue dans une sphère de rayon r telle que :
M(r) ~ rDf     (41)
Pour les fractales aléatoires, M(r) s'obtient par deux méthodes équivalentes. La première consiste à effectuer une moyenne de la masse des sphères issues d'un même point origine pour de multiples configurations de l'amas infini. La seconde méthode passe par une moyenne de la masse sur un même amas percolant, de nombreuses sphères ayant des points origines différents.

La longueur de corrélation x(p) s'interprète comme l'échelle maximale d'observation pour laquelle l'amas apparaît self-similaire (Bunde et Havlin, 1991, p. 58). En effet, pour des échelles supérieures à x, la structure n'a plus d'homothétie interne et peut alors être considérée homogène. Cette modification apparaît clairement sur la figure 1.46 qui représente un réseau formé de tapis de Sierpinski.


Figure 1.46: Réseau formé de tapis de Sierpinski de taille x

Source : Bunde et Havlin (1991), p. 59

Pour des échelles de taille inférieure à x, la structure apparaît fractale alors que pour une échelle plus grande, le réseau se présente comme un système homogène composé de cellules de taille x. Formellement, ceci se traduit par (Bunde et Havlin, 1991, p. 59) :
M(r) ~ ì
í
î
rDf   si   r « x
rd   si   r » x
    (42)

Il est possible de relier la dimension fractale Df de l'amas percolant aux exposants universels b et n des lois d'échelle (voir § 1.4.2). En effet, la probabilité qu'un site arbitraire à l'intérieur d'une sphère de rayon r inférieur à x, appartienne à l'amas infini se calcule en rapportant le nombre de sites éléments de cet amas au nombre total de sites. Formellement cette probabilité se définit par :
P¥ ~
rDf
rd
,     r < x     (43)
Cette équation est exacte de façon certaine pour r = a x, où a est une variable constante inférieure à 1. En substituant r = a x dans (43), l'équation se transforme en (Bunde et Havlin, 1991, p. 60) :
P¥ ~
xDf
xd
    (44)
Enfin, la substitution de (7) et (15) dans (44) amène à la relation :
Df = d
b
n
    (45)
La dimension d'homothétie interne Df dépend ainsi des exposants universels b et n, ce qui permet de conclure que Df possède également la propriété d'être universelle. La figure 1.47 combine la taille S¥ du plus grand amas d'un réseau triangulaire au seuil de percolation, à la dimension linéaire L de ce réseau.


Figure 1.47: Taille du plus grand amas au seuil et dimension linéaire du réseau

Source : Stauffer et Aharony (1992), p. 66

Avec une échelle bi-logarithmique, les données montrent un comportement linéaire lorsque L prend des valeurs importantes. La pente de cette droite de régression est Df = 91/48, ce qui est en accord avec (45) (Stauffer et Aharony, 1992, p. 66).

Dimension du graphe

La dimension fractale Df n'est pas suffisante pour pouvoir pleinement décrire les amas de percolation. En effet, d'autres structures peuvent avoir des dimensions fractales comparables mais des caractéristiques différentes. Les agrégats obtenus en trois dimensions avec un modèle d'agrégation par diffusion limitée (diffusion-limited aggregation : DLA) ont par exemple une dimension fractale comparable (Df @ 2,5) à celle des amas d'un modèle de percolation (Bunde et Havlin, 1991, p. 61). Cependant, alors que la structure des seconds révèle de nombreuses boucles, celle des agrégats de DLA n'en possède quasiment pas. Pour distinguer ces structures, une méthode consiste alors à s'intéresser à la dimension Dl du graphe.

La longueur l du chemin le plus court entre deux points d'un même amas est appelé distance chimique50. La dimension Dl du graphe, qui est aussi qualifiée de dimension chimique ou topologique, associe la masse M de l'amas à la distance chimique l d'un site donné (Bunde et Havlin, 1991, p. 62) :
M(l) ~ lDl     (46)

Pour un site particulier, M(l) s'obtient en comptant le nombre de sites se trouvant dans le même amas et dont le chemin d'accès (la distance chimique) est inférieur ou égal à l. De même que pour M(r), une moyenne doit être faite soit pour un point sur de nombreuses simulations, soit sur de nombreux points pour une même simulation.

Une relation entre la distance chimique (l) de deux sites et la distance euclidienne (r) de ces deux sites est obtenue à partir de (41) et (46) :
r ~ lDl / Df º ln     (47)
Si l'on définit Dmin = 1/ n , la relation (47) se transforme en :
l ~ rDmin     (48)
Dmin s'interprète comme la dimension fractale du chemin le plus court entre deux sites.

Pour reprendre la comparaison entre les agrégats de DLA et les amas de percolation, la valeur de n en dimension trois, est respectivement 1 pour les premiers et environ 0.75 pour les seconds. Ainsi, par l'utilisation de Dl ou n, il est possible d'établir des comparaisons entre les structures fractales lorsqu'elles ont une même dimension d'homothétie interne Df. Cependant, alors que la valeur de Df était liée aux exposants universels (voir (45)), une telle relation n'a pas pu être mise en évidence pour la dimension du graphe Dl. On notera de plus que les valeurs de Dl ou n ne peuvent être calculées que par des méthodes d'approximation et de simulations numériques.

Sous-structures fractales

De nombreuses sous-structures existent en percolation. Ces sous-structures s'identifient par les les éléments qui les composent (voir § 1.2.2, p. ??, et § 1.4.1, ??). Dans le cas d'un réseau électrique, l'épine dorsale est formée par les éléments à travers lesquels un flux de courant peut circuler. Les bras morts sont les éléments qui ne modifient pas la conductance. Les éléments sensibles sont ceux à travers lesquels transite la totalité du courant et dont la suppression fragmente l'amas infini. Enfin, les « blocs » (blobs) sont les éléments de l'épine dorsale qui ne sont pas sensibles.

D'autres sous-structures peuvent aussi être mise en évidence. Parmi elles, on trouve l'« enveloppe externe » (hull). Il correspond aux sites de l'amas infini qui sont adjacents à des sites inactifs au « bord » de l'amas, contrairement au périmètre global qui tient compte aussi des trous à l'intérieur de l'amas. Le squelette est composé par tous les plus courts chemins d'un site donné vers l'ensemble des sites à une distance chimique l51. Enfin, l'épine dorsale élastique correspond à l'union des chemins les plus courts entre deux sites.

Ces sous-structures possèdent comme l'amas infini, la propriété d'être des fractales. Puisqu'une grande partie de l'amas percolant est formée par des bras morts, la dimension d'homothétie interne de l'épine dorsale (DB) est inférieure à celle de l'amas percolant (Df)52. La valeur de DB ne peut être obtenue que par simulation numérique. Au contraire, la dimension fractale des liens sensibles (Dred) peut être calculée de façon analytique53. En effet, le nombre moyen de liens sensibles nred varie en fonction de p selon (Coniglio, 1982, repris dans Bunde et Havlin, 1991, p. 64) :
nred ~ (ppc)– 1 ~ x1/ n     (49)
La dimension fractale des liens sensibles est alors (Dred) = 1/ n. En supposant qu'au seuil l'amas percolant ait une ramification finie, la dimension du squelette est très proche de Dmin = 1/ n. Enfin, la dimension fractale de l'enveloppe externe a été calculée de façon exacte en dimension deux : Dh = 7/4 54 (Sapoval et alii, 1985, repris dans Bunde et Havlin, 1991, p. 64).

Le tableau 1.10 reprend les valeurs obtenues pour les diverses dimensions fractales liées aux amas de percolation, selon la dimension euclidienne de l'espace où se pose le problème.


Table 1.10: Dimensions fractales des sous-structures d'amas en percolation

Dimensions Dimension de l'espace
fractales d = 2 d = 3 d ³ 6
Df 91/48 * 2.524 ± 0.008 4
Dl 1,678 ± 0,005 1.885 ± 0.015 2
DB 1,620 ± 0,02 1.740 ± 0.04 2
Dred 3/4 * 1.143 ± 0.01 2
Dh 7/4 * 2.548 ± 0.014 4
(*) : valeur exacte
Source : Bunde et Havlin (1991), p. 65

Certaines valeurs sont exactes (*) et d'autres sont des approximations obtenues par simulation numérique.





Cette section a mis en évidence les principales propriétés d'un problème statique de percolation. Le calcul des grandeurs caractéristiques est ainsi apparu comme une première source d'information sur les particularités d'un modèle de percolation. Ces statistiques de base permettent notamment de rendre compte de la « solidité » de l'amas percolant, du morcellement d'un état, de sa répartition dans le réseau, etc. Ces informations peuvent alors servir de base à l'élaboration d'actions ou de politiques, dont l'objectif est de modifier l'état du système étudié. Au seuil de percolation, le comportement de ces grandeurs révèle une évolution originale sous la forme de lois d'échelle. Attachés à ces lois, les exposants critiques et les relations entre ces exposants ont une nouvelle fois illustrés le caractère universel de la théorie de la percolation en manifestant une dépendance vis à vis de la dimension du problème et une indépendance face aux structures microscopiques du système. Enfin, la géométrie fractale est apparue comme une seconde source de renseignements pour préciser les propriétés d'un modèle de percolation, au travers des dimensions d'homothétie interne de l'amas percolant, du graphe et des sous-structures du système.


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